Un peu de littérature blanche pour commencer 2024 ?
On m'a peu croisé sur ce blog récemment, en partie parce que les lectures que je faisais avaient peu de rapport avec son objet. En effet, j'ai relu du Platon, et en dehors du lien éventuel avec Assassin's Creed Odyssey - que les experts auront reconnu dans l'image ci-dessus - c'est assez peu "ludique" comme inspi. Et le Socrate du jeu, un fêtard rondouillard qui aime les jeux de mot, a assez peu à voir avec le Socrate littéraire mis en scène par Platon.
Ceci étant, l'apparition de Socrate dans ce jeu était révélateur d'une tendance : si le personnage a souvent été repris dans la culture populaire, ce n'est pas le cas de Platon lui-même, qui ne se mettait jamais en scène dans ses dialogues. Certes, certains exégètes disent qu'il n'est jamais loin - le dialogue du Phèdre se passe à l'ombre d'un arbre dont le nom, le platane, a la même racine que Platon - mais j'étais curieux de voir si la littérature s'était aussi emparé de Platon pour en faire un personnage à part entière.
C'est donc comme cela que je suis tombé sur "Platon était malade". Le titre fait allusion à un extrait du "Phédon", le dialogue qui se passe au moment de l'agonie de Socrate, condamné à boire de la cigüe. Tout un groupe de ses amis et disciples assistent à ces derniers échanges, sauf Platon, qui fait dire à un des personnages, au moment de l'énumération des personnes présentes, "Platon, je crois, est malade."
Moi, condamné à mort ? Mais je ne suis qu'un inoffensif fêtard qui aime les syllogismes vaseux. |
Le récit de Pujade-Renaud commence le lendemain de l'exécution de Socrate. Platon couve sa gueule de bois et ses remords de ne pas avoir été auprès de son maître à Megara, chez un de ses condisciples. Jeune aristocrate à belle gueule qui a renoncé à une grande carrière pour suivre ce va-nu-pieds de Socrate dont il souffre de ne pas avoir été le favori, il rencontre et harcèle tous les présents à la dernière soirée pour tenter de recueillir les dernières perles de sagesse. Mais il n'obtient que des détails morbides sur les étapes de l'empoisonnement à la cigüe, des excuses de ceux qui n'ont pas été attentifs, ou des anecdotes sans intérêt.
Alternant récit et monologue intérieur, le livre retrace le cheminement intérieur de Platon dans cette quête vouée à l'échec de reconstituer les derniers propos de Socrate. Toujours pris de remords, Platon finit par se retirer dans une caverne (tiens donc) avec un jeune esclave, et lentement prendre la décision d'utiliser l'écrit et la forme dialoguée pour transmettre ce qu'il retient de la parole de Socrate.
En tant que roman, le livre est agréable : le soleil de plomb, les cigales, le sable brûlant, la mer sont omniprésents, et malgré quelques passages introspectifs un peu lourds, le récit est plutôt enlevé. Mais c'est surtout les références qui en font tout le sel : référence aux personnages, d'abord, avec un name-dropping fourni utilisant tout le ghota de l'Athènes contemporaine - Antisthène, le père du Cynisme, Euclide de Megara, Aristippe de Cyrène, Alcibiade, Critias, ... - et les personnages des dialogues : le jeune esclave avec qui Platon s'isole est celui qui apparaît dans le Ménon.
Ce travail de mise en scène se retrouve aussi dans le soin à resituer une version crédible de Platon en tant que personnage historique : ancien athlète, neveu d'un dirigeant athénien qui voyait en lui son successeur, un temps auteur dramatique et musicien, hériter d'un domaine viticole en Attique - toutes choses auxquelles il aurait renoncé en choisissant la philosophie.
C'est cependant surtout aux thèmes platoniciens que le livre fait le plus allusion, comme si cet isolement servait à Platon à poser les bases de toute sa pensée : réminiscence, immortalité de l'âme, le Beau, le Juste, le Vrai, morale et politique.
Enfin, c'est au Platon littéraire, à ses images et métaphores, que le livre adresse nombre de clins d'oeil : le char aux deux coursiers, l'éclat éblouissant du soleil, l'incessant chant des cigales, l'accouchement des êtres et des idées (un des personnages est une jeune mère sur le point d'accoucher)...
Ainsi, le désespoir de n'avoir pas assisté Socrate dans ses derniers moments aurait fait vivre à Platon une mort et une renaissance (en sortant de la caverne comme d'une matrice utérine), expérience si bouleversante que son souvenir traversera tous ses futurs textes.
D'autres moment de la vie de Platon, peut-être plus romanesques, aurait pu servir d'assise à un roman (je pense à ses tentatives de fonder une Cité juste en Sicile), mais il s'agit ici d'une trame initiatique, d'une étape du voyage du Héros et le pari de l'auteur - donner chair à Platon, voix désincarnée dans ses dialogues - est réussi.
Comme toutes les oeuvres fortement référencées (oui, Gaiman, c'est toi que je regarde), le livre plaira à hauteur des souvenirs - des réminiscences ! - des lectures de philo et sur la Grèce classique que chacun a. Si je l'avais lu il y a seulement 6 mois, je n'en aurais trouvé qu'une poignée. Là, je les voyais à chaque page, dans les bouts de dialogue, les descriptions, les situations, les noms...
Mais ça ne m'aide pas à finir ma quête du moment à Assassin's Creed Odyssey.
Un bouquin où Platon figure en tant que personnage secondaire (me semble-t'il) c'est La Caverne des Idées de José Carlos Somoza, une sorte de polard dans l'Athènes des Philosophes avec une mise en abîme de la traduction vraiment originale. Pas parfait mais très chouette.
RépondreSupprimerMerci de la suggestion lecture, Ben. Je l'ai mise dans ma wishlist. Les tags "Grèce" et "Antique" ne sont pas les plus présents sur notre blog, il va falloir changer cela !
RépondreSupprimerSpaaaaartaaaaa !