Dernier boniment pour vous vendre le Legs de St-Aymond

Nous arrivons donc dans la dernière ligne droite de la campagne de financement du Legs de Saint-Aymond. Dans un premier billet, j'ai présenté les circonstances de l'écriture de cette campagne alors que je me suis lancé dans ce chantier pendant le premier confinement pour ne pas céder à la psychose ambiante. Dans un second billet, j'ai tenté de faire chouiner dans les chaumières en dévoilant des souvenirs d'adolescence afin de convaincre le potentiel souscripteur que nous sommes un peu pareils, lui et moi. J'ai suivi le parfait plan marketing d'école de commerce : un billet qui en appelle à la rationalité et un seconde qui titille les émotions. Je relis donc mon guide des auteurs qui doivent vendre leur salade en ligne, et le prochain chapitre, c'est l'humour. C'est donc parti pour la vente à la déconne.

À la sortie de la 5e édition de Nephilim, j'ai proposé à ma table de jeu montréalaise de leur faire découvrir ce jeu qui avait été si important pour moi. C'est un peu une gageure, car des joueurs québécois doivent faire un double apprentissage : le jeu en lui-même mais aussi le décor franco-français. Parce que oui, évidemment, ils connaissent la France, ils ne sont pas cons. Ils n'ont peut-être pas vu aussi souvent que nous La Soupe au chou, mais ils ont la même connaissance de la France que celle que nous avons des USA. C'est à dire une myriade d'infos, un patchwork d'images mentales, mais pas nécessairement une connaissance intime du territoire. C'est bête, mais quand on joue un scénario français, il faut parfois expliquer des trucs que l'on pensait implicites. Genre la différence entre police nationale, gendarmerie et police municipale. Je peux aisément leur faire un parallèle entre le service de police de Montréal, la Sûreté du Québec et la Gendarmerie royale, mais cette simplification ne me permet pas de leur faire passer tous les détails. Quand je dis "Vous échangez quelques mots avec un gendarme", mon épouse française s'imagine instinctivement qu'il vit en caserne car elle a déjà vu ces locaux, que c'est lui qui patrouille en périphérie de la ville et à la campagne, qu'elle peut utiliser le mot Maréchaussée pour lui montrer qu'elle connaît l'histoire de l'institution... Alors que mes joueurs québécois ne peuvent s'empêcher de penser à Louis de Funès (et c'est normal, nous aussi) mais ne saurons pas qu'un gendarme est plus entraîné à manier une arme à feu qu'un policier car son entraînement militaire lui fait passer plus de temps dans un stand de tir qu'un agent de police. Bref, ce n'est pas parce qu'on parle la même langue qu'on se comprend tout le temps à 100 %. Aussi mes joueurs ont droit par moment à des explications oiseuses sur un truc franchouillard juste pour le plaisir de pinailler sur un détail (et ils me rendent la pareille sur les subtilités québécoise, n'allez pas croire que c'est à sens unique).

Tout ça pour dire que Nephilim, c'est éloigné d'eux. Ça se passe en France, et si je dis "Ça te rappelle la fois où tu t'étais incarné dans un simulacre originaire des États bourguignons", je dois prendre quelques instants pour donner du contexte. Et mes joueurs sont curieux, donc ils vont aller lire Wikipédia, ce n'est vraiment pas un problème en jeu. Mais un des plaisirs de Nephilim, c'est de jouer avec ton quotidien ultra terre-à-terre et d'imaginer qu'il y a une réalité magique derrière. Et moi, je sais que malgré tous mes efforts de MJ, je ne pourrais pas leur offrir l'expérience totale de Nephilim car on joue avec des codes, des références innées. Encore une fois, ce n'est pas un problème en soi, c'est un constat. J'ai beau me démener, Nephilim ne résonnera jamais dans leur quotidien car nous vivons loin de la matière originelle du jeu malgré notre francophonie commune.

Et un jour, en faisant nos courses dans notre supermarché de quartier, nous sommes tombés sur ça :


Tous mes discours sur le fossé culturel inhérent à la distance, cette impossibilité de transmettre la proximité des éléments ésotériques, ont volé en éclat. Nephilim est devenu ce jour-là très tangible même à Montréal. On a vu cette voiture passer dans notre rue, on s'est par la suite amusé à la localiser dans notre quartier pour identifier qui était au volant de ce véhicule (il avait plus une tête de GNiste que de membre d'un arcane mineur).

Moralité : il n'y a pas besoin de connaître la différence entre un gendarme mobile et un CRS pour que Nephilim fonctionne.

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