Gagner la guerre


En préambule, que le lecteur se souvienne que je mange à la même écuelle que Jean-Philippe Jaworski (à savoir les Moutons électriques). Vous ne serez donc pas étonné que je ne descende pas Gagner la guerre en flamme : oui, j'ai une certaine reconnaissance du ventre. Ceci étant dit, je ne connais pas JPJ personnellement, ce n'est donc pas une critique bienveillante dans la plus pure tradition germanopratine mais plutôt le billet d'un copain de chambrée littéraire. Vous êtes prévenu.

Ça fait des mois que tout le monde me parle de Gagner la guerre. Tous les rôlistes et lecteurs de fantasy sont unanimes : c'est génial. À un tel point que le nom de JPJ devient pour tous LA référence en matière de fantasy française. Impossible de parler du genre sans que quelqu'un ne finisse par faire une référence à JPJ ou GLG. Et comme je m'essaye moi aussi à titiller la plume en grattant de la fantasy, je n'avais surtout pas envie de me laisser influencer volontairement en lisant la prose d'un autre auteur français. Donner l'impression de faire du sous-Jaworski, non merci. J'ai donc attendu d'avoir fini mon propre manuscrit pour lire GLG. Et maintenant que je me retrouve dans la même écurie que JPJ, je suis frappé par la filiation involontaire entre nos deux romans. C'est dingue : nous ne nous connaissons pas, mais nous partageons le même amour de la gouaille et de l'argot. Nos deux œuvres sont cousines par la fesse gauche. Un drôle de sentiment. En même temps, je vous dis ça, vous vous en foutez : vous ne m'avez pas lu. N'empêche.

Or donc, Gagner la guerre raconte à la première personne la vie turbulente d'un coquin de première bourre : Benvenuto Gesufal. Assassin, âme damnée d'un politicard de haut vol, Benvenuto jaspine aussi facilement dans le charabia de la plèbe qu'il est capable d'articuler quand il est dans les hautes sphères du pouvoir. C'est une raclure, une vraie. Mais vous allez apprendre à l'aimer car il est truculent. Picaresque. Et surtout, la vie est une chienne avec lui : il prend au final plus de coups qu'il n'en donne. Il est d'ailleurs embarqué dans une guerre qui le dépasse et qui le pousse à des extrémités dangereuses. Il y aura du sexe sans amour, des duels agrémentés de coups de pute, de la magie sordide et tout ce qui fait le charme de ce genre de récit. Benvenuto, c'est un mélange éprouvé : une dose du capitaine Alatriste, un chouia de l'assassin du jeu vidéo Assassin's Creed, une once d'anti-Monte Cristo, un zest de Borgia... Ça nous change très agréablement des mièvrerie de l'Assassin royal de Robin Hobb. Vous prendrez plaisir à le suivre dans ses fourberies et ses crasses. Moi le premier, j'ai aimé détester cet enfoiré. Le coup de salaud lumineux (pour reprendre la formule de Vergès) fonctionne à merveille.

L'univers de Gagner la guerre se nomme le Vieux Royaume. C'était déjà le cadre du recueil de nouvelles Janua Vera. Une sorte d'Europe en pleine Renaissance, avec des elfes et des nains. C'est d'ailleurs ce qui m'a le plus déçu : bien qu'ils ne soient pas présents au premier plan, les races traditionnelles de la fantasy sont un peu en décalage par rapport au reste de cet univers. Comme des ingrédients imposés mais fades. On s'amuse pendant des chapitres entiers à suivre Benvenuto dans l'équivalent d'une cité franche italienne, et patatras, d'un coup on se retrouve dans une ambiance plus moyenâgeuse avec des ménestrels elfes qui font la bamboche et des nains bagarreurs. Ce changement de décor au milieu du roman n'est d'ailleurs pas une grande réussite pour moi. Je ne suis pas arrivé à m'intéresser à cette vie en dehors de la cité. Autant la première moitié du livre était époustouflante de politicaillerie et d'ambition, autant le reste du livre ressemble vraiment trop à un scénario de jeu de rôles avec les dangers de la route, la bande de maraudeurs qui ratisse le pays, la vie d'auberge... Car le livre est long : pas loin de 1 000 pages au format poche.

Au niveau stylistique, vous allez en prendre plein les mirettes : attendez-vous à vous faire canarder de mots. C'est un vrai festival, ça jargonne à tous les étages. JPJ fait feu de tout bois, avec notamment un dialogue entre deux assassins qui parlent dans leur patois : on ne comprend pas leur langage et pourtant le dialogue est limpide. Une pièce d'orfèvre. Par contre, comme le récit forme en fait les confessions de Benvenuto, la narration est à la première personne du singulier. On plonge donc facilement dans l'histoire, mais on se retrouve souvent à faire le grand écart entre des expressions très argotiques et des tournures très classieuses. Ce mélange s'explique par la vie même de Benvenuto, toutefois ça ne fonctionne pas toujours. Pour tout dire, j'avais par moment l'impression de plus lire JPJ que Benvenuto. J'aurais aimé que l'auteur s'efface dans son écriture, qu'il rende moins hommage à Dumas et qu'il laisse Benvenuto cracher son fiel dans son dialecte si imagé sans chercher à plaquer au milieu de la belle formule alambiquée et du vieux mot un peu pédant.

Au final, GLG et JPJ sont vraiment à la hauteur de leur réputation : si seulement la fantasy était toujours de ce calibre.

Par contre, si j'étais un auteur qui publie un premier roman de fantasy chez le même éditeur, j'aurais vraiment les boules de passer après Jean-Philippe Jaworski...

Pour un autre son de cloche, la critique de Munin

Commentaires

  1. "En préambule, que le lecteur se souvienne que je mange à la même écuelle que Jean-Philippe Jaworski (à savoir les Moutons électriques)."

    Putain, ça classe :)

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  2. "Janua Vera" et pas "Junua Vera". A part cela ton roman n'a pas à rougir de la comparaison. Et tu comprends maintenant pourquoi je te voyais si bien aux Moutons....

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  3. Gagner la guerre est le meilleur roman de fantasy que j'aie lu depuis longtemps. je l'emporterais sur une île déserte.

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  4. C'est mon prochain dans la pile des "à lire". J'ai vraiment beaucoup aimé Janua Vera (à part la nouvelle éponyme), et je me réjouis vraiment de celui-la...

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  5. Un très bon bouquin en effet ! Je ne suis pas trop porté fantasy, ce n'était donc pas gagné pour moi, et j'ai pourtant adoré :)

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  6. Je suis en train de le lire. J'ai déjà pas mal avancé. Je souscris entièrement à tout ce que tu as écrit : la truculence du personnage, la sympathie que cet enfoiré inspire, le rôle de cheveux dans la soupe des elfes et des nains, la qualité du style, l'excellence du dialogue des deux assassins, la petite gêne face aux mélange des styles. Tout te dis-je.
    Tiens, je ne vais pas faire de chronique. Je vais laisser un lien vers ton billet.
    Non, je déconne.
    PS : j'ai eu le plaisir de lire ton premier chapitre. Il est vrai que la parenté est évidente.

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  7. @ Cédric J.
    Merci pour la coquille, j'ai vraiment du mal avec ce titre. Et désormais je comprends effectivement pourquoi tu me voyais aux Moutons ;o)

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  8. En même temps, faire partie de la même écurie que Jean-Philippe Jaworski avec un premier roman de fantasy, ça donne envie au lecteur que je suis de guetter attentivement la sortie de votre livre

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