Épisode 12
Numéro 1 de la collection « NéO+ »,
1986
En deux mots
Granitehead, un village des alentours de Salem, dans les années
80. Le narrateur, un antiquaire, se débat avec un deuil brutal : son
épouse enceinte vient d’être tuée dans un accident de voiture.
Il croit l’entendre, aux petites heures de la nuit, mais bien
sûr, après une perte aussi dramatique, des hallucinations sont à prévoir, et il
n’est sûr de rien.
Peu après, il achète dans une vente aux enchères une gravure
ancienne représentant la baie de Salem…
Deux cent cinquante pages plus tard, il se retrouve au milieu
d’un entrepôt grouillant de zombies meurtriers, à noyer un dieu aztèque sous de
l’azote liquide.
Dans l’intervalle, il aura fait la connaissance d’archéologues
obsessionnels, d’une marchande de lingerie à gros seins, d’un culte de
sorcières, d’un occultiste octogénaire aux motivations peu claires et d’un
Indien qui a peut-être bien trois cents ans, allez savoir. La plupart de ses
proches seront morts dans des circonstances abominables, ainsi d’ailleurs que
la moitié de la ville.
Pourquoi c’est bien
Parce que ça fonctionne !
Le lecteur monte en puissance peu à peu, des hallucinations aux
manifestations, des manifestations à la hantise, et de la hantise au surnaturel
à grand spectacle. Les dialogues sont bien écrits, Masterton maîtrise un
comique de situation un peu grinçant qui fait souvent mouche…
Pourquoi c’est lovecraftien
Au niveau le plus superficiel, parce que Masterton a glissé des
allusions à Lovecraft dans sa narration. Ce sont les années 80, après tout :
son héros a lu les œuvres de l’homme de Providence et les mentionne quand ça
commence à dérailler autour de lui.
Une seconde couche, plus discrète, relie directement Le démon
des morts au corpus du Mythe. Masterton reprend une partie du cadre du Rôdeur devant le seuil, l’un des
indigestes pastiches d’August Derleth. Ce n’est pas une suite, et c’est tant
mieux, les non-initiés n'y verront que du feu, mais quand on connaît, les liens
sautent aux yeux.
Restent, bien sûr, le décor lui-même – le petit port de
Nouvelle-Angleterre avec ses inquiétants cottages, ses habitants qui cachent
des secrets et tout ce qui s’en suit – et une généreuse louche de background
sur les procès de sorcellerie de 1691, toutes choses qui auraient certainement
parlé à Lovecraft.
En revanche, les deux ou trois scènes de sexe qui ponctuent le
bouquin l’auraient certainement écœuré, mais contrairement à Lovecraft,
Masterton a toujours écrit pour vendre…
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Vu sous un certain angle, ce bouquin ressemble de manière
troublante à un compte rendu de partie rédigé par l’un des personnages. Les
narrateurs de Masterton ont tous un air de famille – ce sont des types terre à terre,
menant des vies banales, qui se retrouvent plongés dans des circonstances
hallucinantes et s’en sortent en se cramponnant à leur sens de l’humour, quitte
à faire des vannes inappropriées. Bref, ils ont comme une ressemblance avec les
mecs qui s’agglutinent autour de votre écran par les nuits sans lune.
Pour en faire un scénario, relisez le résumé, remplacez « groupe
d’archéologues » par « investigateurs », « dieu aztèque »
par « Grand Ancien », mettez les autres éléments dans un shaker,
secouez et servez.
Pour les amateurs, puisqu’il y en a parmi mes lecteurs, je
signale qu’il y a de la dynamite et une explosion sous-marine, déclenchée par
une mèche rapide « composée en grande partie de magnésium ».
Bilan
Masterton a produit des quantités industrielles de romans
d’horreur, dosant diversement atmosphère, enquête, sexe et gore. Presque tous
exploitent l'idée d'un dieu ou d'un démon issu d'une mythologie oubliée qui se
prépare à revenir. Au minimum, ils ont faim d’âmes et soif de sang. Parfois, il
y joignent une solide érection matinale.
Dans le tas, il y a trop de trucs médiocres ou d’autoplagiats
éhontés pour que je les recommande tous en bloc. Mais de temps en temps, il a
un moment de grâce et réussit quelque chose de brillant. Le démon des morts n’est pas son meilleur livre, mais il est très
loin d’être le plus mauvais.
Et c’est un de mes préférés.
Petites questions, tu les lis tous en ce moment les romans que tu critiques ou c'est une rétrospective issue de tes souvenirs ? :D et qu'est ce qu'un NéO+ ?
RépondreSupprimer1) Oui, je les lis ou je les relis, selon les cas. Je n'ai pas à ce point bonne mémoire :)
RépondreSupprimer2) Les Nouvelles éditions Oswald avaient deux collections principales, une de polar et une de fantastique / SF. La plupart de leurs titres faisaient autour de 200 pages, rarement davantage. En 1986, ils ont lancé NéO+, pour éditer des bouquins plus épais, polars ou fantastique / SF. En pratique, la collection NéO+ a rapidement été vampirisée par le fantastique.
La collection polars compte environ 150 titres (et je n'en ai pas un seul).
La collection SF/Fantastique environ 200 titres (j'en ai grosso modo la moitié)
La collection NéO+ compte 26 titres (il m'en manque quelques-uns).