Épisode 15
En deux mots
Un
respectable politicien britannique se retrouve persécuté par un mystérieux
Arabe qui a visiblement de vieux comptes à régler avec lui. L’élément central
de cette persécution est l’image d’un scarabée égyptien. Que s’est-il passé au Caire,
vingt ans plus tôt ?
Pourquoi
c’est bien
Pour un tas
de raisons !
La première,
purement technique, est la narration, construite comme une course de relais,
avec quatre narrateurs qui ont chacun leur partie.
A témoigne,
puis B prend la suite, revient sur ce qu’il a vu et compris des événements
racontés par A avant de faire avancer l’histoire, puis C intervient, revient
sur le témoignage de B, avant de passer la parole à D. Le résultat est vivant,
et la construction en chapitres très courts donne encore plus de pêche à
l’ensemble. Beaucoup de romans victoriens sont conçus pour des lecteurs qui
avaient du temps à revendre, c’est l’un des plus dynamiques qu’il m’ait été
donné de lire.
Les
narrateurs sont intéressants, chacun à leur manière. Le livre s’ouvre sur le
témoignage d’un quasi-mendiant, au chômage depuis neuf mois, qui est sur le
point de mourir de faim. L’homme qui prend la suite est un chimiste génial,
très occupé à des recherches humanitaires : développer un gaz de combat si
meurtrier qu’il rendra la guerre impossible. Lui succède une jeune fille de
bonne famille un peu évaporée, mais têtue en diable, trop pour son propre bien.
Enfin, un détective privé ferme le ban.
L’ensemble
fourmille de notations sur les mentalités. Pour ceux qui ne la connaîtraient
pas encore, on y trouve la définition classique du gentleman, « un homme
qui fait ce qu’il faut, comme il faut, quand il faut ». Je recommande
particulièrement les scènes de bal dans la bonne société, où l’on découvre que
« Gestion du carnet de bal » devrait être une compétence à part
entière.
Pourquoi
c’est lovecraftien
De qui est
ce passage ?
« Le jeune homme mourut lors d’une de ses crises,
sans jamais avoir prononcé une seule phrase cohérente, et peut-être valait-il
mieux, à en juger par les bribes qu’il réussit à balbutier, qu’il soit mort
sans avoir vraiment repris conscience. Puis on commença à entendre des rumeurs
sur une secte qui avait son temple quelque part à l’intérieur du pays (personne
n’était sûr de l’endroit exact) et dont on disait qu’elle pratiquait encore et
n’avait jamais cessé de pratiquer des rites innommables, sanguinaires et
impies, qui avaient leur origine dans une époque si reculée qu’on pouvait la
qualifier de préhistorique. »
C’est du
Marsh, mais si je vous avais dit « Lovecraft », vous m’auriez cru,
non ? Pour être tout à fait honnête, c’est peut-être un effet de la
traduction. Jean-Daniel Brèque s’en sort très bien, mais il a peut-être cédé à
la tentation du pastiche sur un paragraphe.
Ce qui n’est
définitivement pas lovecraftien, en revanche, c’est l’humour. Il n’y en a pas
des tonnes, mais de temps en temps, l’auteur s’autorise un effet comique, et
les scènes dans la bonne société sont plus proches de Wodehouse que de Dickens.
Lovecraft ne se serait jamais permis des répliques du genre « Comme tous les conservateurs, papa se
méfie des gens intelligents, je crois que c’est pour ça qu’il vous apprécie
autant ».
Qu’en pensait
Lovecraft ?
Contrairement
à ce que prétend la quatrième de couverture, apparemment pas grand-chose. Le Scarabée est mentionné dans Épouvante et surnaturel en littérature,
en tête d’une énumération de romans fantastiques anglais, mais sans plus de précisions
et sans avis critique.
Pourquoi
c’est appeldecthulhien
En dehors de
l’intéressante fenêtre sur les mentalités, si l’on récapitule, nous avons là :
• Des
sacrifices humains offerts à des dieux étranges, perpétrés par un prêtre (à
moins que ça ne soit une prêtresse) doté(e) de pouvoirs surnaturels. Présenté
comme ça, c’est presque trop cthulhesque, mais l’adversaire est intéressant, à
cause de ses pouvoirs et de ses
faiblesses – tout le monde repère ce drôle d’Arabe en burnous qui parle mal
anglais, et malgré ça, il s’avère singulièrement difficile à attraper.
• Des héros
qui, lorsqu’ils ont enfin découvert le repaire de leur ennemi, entreprennent de
le cambrioler. Une fois à l’intérieur, ils perdent le danger de vue et se
chamaillent bruyamment pour des bêtises. Que ceux qui n’ont jamais vu ça en jeu
leur jettent le premier pudding !
• Un exemple
de l’utilisation des télégraphes en situation de crise, sur le mode « il a
pris le train de telle heure, qui passera ici, ici et ici. Il faut X minutes
pour transmettre le message, mais le poste télégraphique de la gare de Y qui
est le prochain arrêt du train sera fermé pour la nuit. Si nous voulons arrêter
le train, il faut donc qu’on télégraphie à la gare de Z. » Prenez des
notes !
Bilan
En plus
d’être un bon roman et une histoire pas très difficile à convertir en
scénario, Le Scarabée est une lecture
très conseillée si vous voulez faire jouer à Cthulhu 1890. Et si Londres ou les victoriens ne sont pas votre
tasse de thé, il va de soi qu’il se transposerait très facilement dans
n’importe quelle grande ville d’Europe ou des États-Unis, y compris dans les
années 20.
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