Épisode 11
Numéro 88 de la collection Fantastique / SF / Aventure, 1983
Un petit mot sur l’auteur
Né John Buchan en 1875, notre écrivain meurt Lord Tweedsmuir en
1940, après une carrière politico-diplomatique dans les rangs du parti
Conservateur, qui l’a conduit à devenir gouverneur général du Canada… et,
apparemment, à faire du renseignement pendant la première guerre mondiale.
Il a trouvé le temps d’écrire soixante-dix romans, dont Les 39 marches, adapté au cinéma par
Hitchcock. Le préfacier en fait une sorte de chaînon manquant entre la grande
aventure victorienne à la Rider Haggard et les romans d’espionnage sensiblement
plus désabusés de John Le Carré ou de Graham Greene.
Bref, un client costaud, avec du métier, et ça se sent.
En deux mots
En 1913, le narrateur fait la connaissance d’un jeune homme qui,
chaque année, le premier lundi d’avril, rêve qu’il est dans une grande maison
et quelque chose s’approche de la pièce où il se trouve… À raison d’une pièce
par an, il sait qu’il ne reste plus que sept ans avant qu’il ne se retrouve
face à face le quelque chose en question.
Après diverses péripéties dont une guerre mondiale, en 1919, le
narrateur rencontre une étrange jeune fille, héritière d’une île grecque. Pas
de chance, les habitants du coin la détestent : son père était un fou
pervers et dégénéré que la bonne société londonienne comparait à Gilles de
Rais. Et bien sûr, elle insiste pour vivre sur son île, pas question de se laisser
chasser de chez elle par « ses » paysans.
Comme de bien entendu, les problèmes des deux jeunes gens
finissent par converger…
Pourquoi c’est bien
Ce n’est pas bien, c’est excellent !
Le style a un peu vieilli, mais l’ensemble reste très efficace.
Pourquoi c’est lovecraftien
Le narrateur trouve dans les papiers du père de l’héroïne –
celui qui s’adonnait à la magie noire – un manuscrit en grec médiéval qui
décrit une cérémonie à d’anciens dieux, sacrifices humains compris. Une fois
traduit, ce document joue un grand rôle dans la suite du roman.
Ensuite, il se rend sur la petite île, où il réalise vite que
les villageois, excellents chrétiens par ailleurs, ont bien l’intention de
liquider celle qu’ils prennent pour une sorcière, histoire d’être sûrs d’en
être débarrassés.
Du coup, ils apprécient moyennement les étrangers qui viennent
mettre leurs grands pieds dans leurs petits plats.
Qu’en pensait Lovecraft ?
Dans Épouvante et
surnaturel en littérature, « Grand-papa Theobald » consacre un
paragraphe élogieux à John Buchan, où il emploie des expressions comme « efficacité
remarquable » ou « extrêmement impressionnant ». Toutefois, il
ne parle pas du Vingt-sixième rêve,
peut-être parce qu’il était paru trop récemment pour avoir rejoint sa
bibliothèque.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
La première partie, un peu longue, est très « Belle Époque »,
autrement dit victorienne avec des automobiles. On enchaîne rapidement sur la
guerre, et on retrouve nos héros, fraîchement démobilisés, dans une époque
nouvelle, qu’ils trouvent bizarre : l'aube années 20. Nouvelles mœurs,
nouvelles musiques, nouvelles habitudes… et ils ont du mal à se réadapter.
Rien que pour ces chapitres de transition, ça devrait être une
lecture obligatoire pour tous les meneurs de jeu de L’Appel de Cthulhu,
tiens !
Ensuite, viennent quelques chapitres londoniens où on découvre à
quel point la bonne société de l’époque est minuscule, snob et cancanière.
Après, c’est l’histoire – arrêtez-moi si vous la connaissez – du
gars qui débarque sous un prétexte foireux au milieu d’un village plein de
sectateurs (ou assimilés).
En plus, notre narrateur s’avère être un héros incompétent. Il
se perd sur l’île, son expédition de secours se disperse, puis le laisse tout
seul, toutes ses tentatives pour rejoindre le manoir foirent et aggravent sa
situation… bref, on sent le joueur poissard qui rate tous ses jets de dés –
sauf ceux qu’il ne faudra surtout pas rater, à la toute fin.
Tout cela est traité sur le mode mineur, avec beaucoup
d'ambiance et des adversaires humains, mais sans monstre. C'est un roman
d'aventures avec une touche de fantastique, pas le contraire ! On ne voit
rien de vraiment probant, mais rien ne vous empêche de décider qu’il y a une
grotte pleine de trucs visqueux là-haut dans les collines…
(Au fait, le roman est fourni avec un plan de l’île, excellente
habitude des romanciers des années 20 qui ne peut que faire plaisir aux
rôlistes.)
Bilan
Le vingt-sixième rêve est à la fois une lecture plaisante et un scénario prêt à
servir pour L’Appel de Cthulhu.
Mieux, la thématique grecque & petites îles perdues dans la mer Égée en
fait aussi un scénario pour Byzance An
800. Il suffit de revenir mille ans en arrière, de remplacer Londres par
Constantinople et le narrateur par un investigateur, et le tour sera joué.
Vraiment excellente, cette série d'articles! Je ne suis même pas rôliste, mais diable, ça donne envie.
RépondreSupprimerça donne envie de le lire et de redécouvrir cet auteur quelque peu oublié !
RépondreSupprimerBel article.
Olivier.
Tristan, le titre Anglais c'est The 26th Dream ?
RépondreSupprimerEn anglais, c'est The Dancing Floor.
RépondreSupprimerdévoré en 2 jours, c'est une lecture longue en bouche, un peu surannée mais délectable. Merci pour ce conseil.
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