Prophétie, de David Seltzer (1979)

Épisode 17


Numéro 9 de la collection « NéO+ », avec un Kelek pas très inspiré à la couverture. Heureusement pour eux, en 1987, il n'y avait pas de forums Internet pour leur expliquer que c'est un scandale, que mon petit frère dessine la même en cinq minutes, non mais vous n'avez pas honte, etc.








En deux mots

Fin des années 70. Notre héros est un bureaucrate déprimé qui a accepté une mission pour le compte de l’Agence de l’environnement américaine. Flanqué de son épouse, il quitte Washington pour les forêts du Maine. Son objectif : analyser l’impact écologique de l’industrie du papier dans un petit coin de forêt.

Sur place, il découvre une situation de quasi-guerre entre bûcherons et Indiens. Des Blancs ont disparu. Les Indiens les ont-ils tués ? Ils le nient, mais comment leur faire confiance ?

À moins qu’une force extérieure ne vienne mettre tout le monde d’accord : les Indiens ont une prophétie selon laquelle, lorsque la forêt sera en péril, un monstre nommé Katahdin viendra la défendre.


Pourquoi c’est bien

C’est la novelization d’un film apparemment oubliable et oublié de nos jours, écrite par un scénariste visiblement plus compétent que le réalisateur et les acteurs (Seltzer a aussi scénarisé le premier volet de La Malédiction, et rien que pour ça, il m’est cher).

Du coup, ça se lit très vite et très facilement, malgré une traduction qui aurait supporté un p’tit coup de polish supplémentaire. Les personnages sont bien campés, les dialogues rapides et dynamiques, les décors posés en quelques mots et les scènes d’action bien décrites. Bref, on sent la patte d’Hollywood, et ça marche.

L’axe central de l’histoire est l’écologie, ce qui devait être avant-gardiste à l’époque. Certains détails sont toujours d’actualité à l’heure de la mondialisation, notamment le haut-le-corps du héros lorsqu’il comprend que les patrons de la papeterie vivent en Géorgie, à des milliers de kilomètres : ça veut dire qu’ils ne seront pas obligés de vivre avec le résultat de leurs décisions…

Oh, et ce n’est pas non plus une histoire simpliste à la Werewolf avec les gentils Indiens proches des esprits contre les méchants Blancs capitalistes. À choisir entre deux connards, je trouve le directeur des papeteries plutôt plus sympathique que l’activiste indien.

(En revanche, c’est une histoire de racisme, où l’on découvre que finalement, il y a bien pire que d’être Noir aux États-Unis. Être Indien, par exemple.)


Pourquoi c’est lovecraftien

Ça ne l’est pas.

Vous aurez beau scruter le texte avec une loupe, vous n’y trouverez pas le moindre « indicible », et même en passant tout ça au tamis, pas une miette d’horreur cosmique à se mettre sous la dent. Et c’est très bien comme ça : à toujours consommer les mêmes plats, on se gâte le palais.


Pourquoi c’est appeldecthulhien

Déjà, le héros conduit une enquête. C’est idiot, mais du coup, il crapahute dans la nature, s’arrête interroger les gens, fait des prélèvements, les analyse… bref, il se conduit tout du long comme un investigateur.

Ensuite et surtout, Prophétie peut se lire comme un cours sur le fantastique.

Quelque chose dans la forêt fait du carpaccio de bûcheron, et son origine ne tarde pas à être clairement comprise : un animal mutant, produit d’un accident industriel. Ah bon, tout va bien, Prophétie rentre dans le moule du fantastique expliqué, voire du simple thriller.

Sauf que… quelle est la probabilité pour qu’un accident industriel fasse naître un monstre qui ressemble beaucoup, mais alors vraiment beaucoup, au Katahdin annoncé par la prophétie indienne ? Et alors que la créature ne se comporte pas du tout comme le laissait entendre la prophétie, les conséquences de ses actes seront celles qui étaient prévues. Ah d’accord. Donc, nous sommes bien dans du fantastique.

Sauf que non, parce que cette deuxième couche n’invalide pas la première. Et vice versa. Les deux lectures restent possibles jusqu’à la fin. Certains éléments tirent dans un sens ou dans l’autre, mais c’est à vous de vous débrouiller avec ça, chers lecteurs. Prophétie évite de trancher et a bien raison.

Bref, tout cela est plein de l’ambiguïté qui manque à pratiquement tous les scénarios pour L’Appel de Cthulhu, où les explications vont toujours dans le même sens, celui de la prophétie indienne (ou pire, du méchant chaman indien qui relâche le monstre ou, pour les plus « subtils », du vil directeur des papeteries qui relâche un monstre pour faire dégager les pauvres Indiens).


Bilan


Il ne faut pas demander à Prophétie plus qu’il ne peut donner : ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est un roman efficace sur des thématiques toujours actuelles. Il se transpose sans mal en scénario, et repose sur un principe d’incertitude qu’il serait sain d’employer en jeu, de temps en temps.


(Ainsi se termine la série des billets déjà publiés sur Casus NO. Les prochains seront des inédits.)

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