Épisode 30
Numéro 198 de la collection « Fantastique/SF/Aventure »,
1987
En deux mots
Nous sommes
vers 1760. Après des années sur le Continent, Sir Bale Mardykes revient dans le
château de son enfance, en compagnie de son cousin et souffre-douleur, Philip Feltram.
Sir Bale
déteste son manoir et surtout le lac, où une femme s’est noyée, il y a bien
longtemps – un incident qui est
resté dans toutes les mémoires, amplifié et déformé mais toujours présent. Sir
Bale n’aime pas la région, il s’y sent piégé, mais il est obligé d’y rester, sa
situation financière ne lui permettant plus de vivre ailleurs.
Un jour, son
cousin Philip échappe de justesse à la noyade, et son caractère change… C’est
le début de quelque chose, mais de quoi ?
Pourquoi c’est bien
C’est bien
et même très bien, mais pour des raisons qui, aux yeux d’un homme pressé du XXIe
siècle, sont plutôt des défauts.
C’est lent. Il ne se passe pas grand-chose au
début, l’auteur nous fait visiter la région, le manoir, le village, nous
présente les notables du coin, installe une ambiance et pose ses personnages...
Ensuite, les années s’écoulent, une dizaine en tout, au gré des besoins de la
narration.
C’est diffus. Le fantastique se glisse dans
les interstices d’une vie normale, tout doucement, avec des rémissions et des
paliers. La malédiction qui frappe les Mardykes n’est pas univoque, elle offre
même des compensations, mais elle est partout autour de lui.
C’est flou. Sir Bale lui-même ne comprend pas
ce qui lui arrive, n’est pas bien sûr qu’il lui arrive quelque chose, et
accepte des explications « rationnelles » qui vont à l’encontre de ce
qu’il a vu, juste pour être tranquille.
C’est ambigu. Sir Bale, dernier des Mardykes,
est maudit. Il est dur et égoïste, mesquin et sarcastique, mais ce n’est pas un
salaud complet, et par moments, on se sent désolé de ce qui lui arrive. En sens
inverse, Philip Feltram apparaît sous les traits d’un pauvre type, et finit par
devenir franchement inquiétant…
Résultat :
l’imagination travaille. Le Fanu suggère des choses, qui peuvent être
« réelles » ou non, mais on se retrouve aussi à tracer des connexions
qu’il ne mentionne pas.
Comparez ça
à un roman d’horreur moderne, ou tout est mené tambour battant, où le monstre
est bien défini, clairement maléfique et où les personnages sont taillés à la
hache…
Pourquoi c’est lovecraftien
Ce Hobereau maudit n’a rien de
lovecraftien.
Le Fanu est
à la fois un auteur romantique de la seconde génération et un auteur gothique
de la troisième génération.
Le côté
romantique nous vaut des descriptions des humeurs lac, des couchers de
soleil sur les montagnes, et ainsi de suite. Après quoi, en bon gothique, Le
Fanu enchaîne sur d’angoissants brouillards où rôdent d’indécises silhouettes
aux intentions suspectes.
Qu’en pensait Lovecraft ?
Apparemment
pas grand-chose, puisqu’il se contente de citer Le Fanu au milieu d’une
brochette d’auteurs fantastiques anglais où l’on retrouve aussi des gens comme
Stevenson.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Sir Bale n’a
pas le réflexe de l’investigateur – filer dans les archives familiales, voir
qui s’est noyé au juste et, après enquête, comprendre le pourquoi de la
malédiction. Une fois en possession du pourquoi,
un personnage de L’Appel de Cthulhu
enchaîne généralement sur un comment,
souvent « comment mettre un terme à la malédiction », beaucoup plus
rarement « comment se barrer de là sans y laisser trop de plumes ».
Dans le cas
de Sir Bale, cela impliquerait sûrement une virée sur Snakes Island, cette
drôle de petite île au milieu du lac à laquelle sont rattachées tant de
légendes, et une bonne vieille confrontation finale.
Rien de tel ici. En fait, j’ai rarement lu un roman aussi peu transposable en scénario de jeu de rôle. Certains moments, oui, certains incidents, sûrement, mais l’ensemble ? De l’eau et du brouillard, là où les joueurs réclament du solide, du concret, du nourrissant.
Bilan
Le Fanu a laissé
une œuvre surabondante où se croisent romans historiques, journalisme,
régionalisme irlandais et fantastique, dans laquelle on trouve des pépites… et
des ouvrages mineurs, comme ce Hobereau
maudit.
J’ai un
souvenir lointain mais positif du Mystérieux
locataire, également paru chez NéO. Je vais donc poursuivre l’enquête.
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