Les mines du roi Salomon, d’Henry Rider Haggard (1885)


Épisode 37


Numéro 82 de la collection Fantastique / SF / Aventures, 1983




J’ai beaucoup hésité avant de me relancer dans Rider Haggard. J’en avais lu dans les années 80, et j’en conservais plutôt de bons souvenirs. Hélas, c’est un de ces écrivains amateurs de cycles en ouattedouzemille volumes qui, en plus, bricole des cross-overs avec ses héros récurrents. Du coup, il est difficile d’y trouver un point d’entrée… Et même si NéO a fait de gros efforts en son temps pour en proposer des intégrales, les volumes sont sortis dans le désordre et il reste des inédits en français.

En définitive, la meilleure solution était de trouver le premier roman publié par un jeune Rider Haggard et de partir de là. Il s’agit des Mines du roi Salomon, qui a fait d’un jeune inconnu un écrivain célèbre… et riche parce qu’il avait résisté à son éditeur qui voulait lui payer un fixe, et qu’il avait insisté pour toucher un pourcentage des ventes.

Donc, en route pour Les mines du roi Salomon avec Allan Quatermain, héros récurrent de Rider Haggard, que l’on retrouve dans quinze (!) autres volumes.

Au fait, dépêchez-vous d’oublier Richard Chamberlain qui, dans les années 80, a joué dans une adaptation désolante de ce roman. L’Allan Quatermain de ce livre n’est pas un fringant jeune premier. C’est un baroudeur de soixante-cinq ans handicapé par une collection de vieilles blessures, qui se plaint beaucoup d’être toujours pauvre après quarante ans à rouler sa bosse dans le sud de l’Afrique (un décor flou où se croisent Anglais, Boers, Zoulous et Portugais, entre autres).

Notre chasseur de lions sur le retour fait la connaissance de Sir Henry Curtis, tout juste arrivé d’Angleterre avec son ami le capitaine Good. Tous deux sont à la recherche du frère de Sir Henry, disparu depuis des années. Quatermain est le dernier Blanc à l’avoir vu, alors qu’il partait, à travers un désert infranchissable, vers des montagnes inaccessibles où la légende situe les mines de diamants du roi Salomon.

Deux cent cinquante pages plus tard, nos héros quittent l’Afrique du sud en ayant retrouvé le disparu, et lestés de suffisamment de diamants fabuleux pour vivre sans soucis jusqu’à la fin de leurs jours.

Je ne vais pas vous raconter comment ils ont fait, parce que vous le savez déjà. Vous connaissez cette impression, quand on lit pour la première fois une histoire de Conan ou une enquête de Sherlock Holmes, de découvrir un empilement de clichés ? En réalité, il s’agit de textes fondateurs, qui ont inspiré l’écriture de dizaines de variations plus ou moins inspirées, réarrangeant les mêmes incidents sur des canevas à peine différents. Robert Howard et Conan Doyle ont formaté l’heroic-fantasy et la nouvelle policière, Rider Haggard a fait la même chose avec le roman d’aventures africaines.

Je vous assure, vous connaissez déjà les péripéties de ce roman, même si vous ne l’avez jamais lu. Allez, quelques exemples tirés du milieu du bouquin…

• Un royaume interdit gouverné par un mauvais roi sanguinaire conseillé par une sorcière ?
• Les visiteurs qu’on prend pour des êtres surnaturels parce qu’ils ont la peau claire, et qui « prouvent » leurs pouvoirs magiques en « provoquant » une éclipse ? (Les éclipses se produisent toujours, comme par hasard, juste au moment où les explorateurs en ont besoin.)
• L’intervention des Blancs dans les querelles de succession locale, bien sûr du côté de l’héritier légitime, que l’on reconnaît à une marque de naissance ?
• Une histoire d’amour impossible et qui finit mal entre une belle indigène et l’un des explorateurs ?

Tout y est, et plus, notamment l’exploration du donj… du complexe minier d’où le roi Salomon extrayait ses diamants.

Reste que tout cela est bien écrit, ou en tout cas bien traduit puisque c’est une version française. L’histoire progresse vite, que les personnages sont bien campés (si vous cherchez de la profondeur psychologique, allez voir ailleurs, ce sont des esquisses destinées à remplir des emplois plus que des caractères fouillés). Bref, on ne s’ennuie pas.

De plus, l’ensemble est étrangement dépourvu de racisme. Nos trois héros ont une (petite) supériorité technologique qui leur donne un certain ascendant, mais les indigènes ne sont pas des imbéciles, et les explorateurs se gardent bien de les traiter avec condescendance. L’une des réussites de Haggard est la manière dont il fait parler zoulous et indigènes du royaume interdit, qui manient la métaphore comme des héros de l’Iliade. À quoi bon dire « nous sommes encerclés, ça craint » alors qu’on peut dire « nous sommes comme un chevreuil dans les anneaux d’un grand serpent » ? Cela donne une touche d’exotisme bienvenue, renforce l’impression d’une culture orale et apporte une pointe de poésie dans des situations peu riantes par ailleurs.

Au bilan, Les mines du roi Salomon est un roman d’aventures agréable, qui n’exige strictement aucun effort pour être adapté en scénario de jeu de rôle, et Rider Haggard est un auteur sur lequel je reviendrai certainement un de ces jours, peut-être avec un de ses romans de la maturité.

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