La guerre du Mexique, d’Alain Gouttman

Dans les années 1990, Laurent Henninger publiait dans Casus Belli d’excellentes Inspi wargame, qui étaient assez souvent ce que je lisais en premier quand je recevais un nouveau numéro. Il m’en reste un fond d’intérêt pour l’histoire militaire. Par ailleurs, depuis quelques semaines, je m’intéresse de nouveau au XIXe siècle en général et au Second Empire en particulier. Ça me prend de temps en temps.

Conséquence logique de ces deux addictions, quand j’ai découvert dans l’excellente collection Tempus les deux ouvrages d’Alain Gouttman sur les guerres de Crimée et du Mexique, je ne me suis jeté dessus comme un parti de bachi-bouzouks sur un groupe de traînards russes. Après lecture, j’ai décidé de vous épargner la guerre de Crimée. Le bouquin est excellent, mais la guerre du Mexique propose quelque chose de plus que les développements d’une énième guerre russo-turque[1].




1860. Le Mexique. Quarante ans d’indépendance, trois cents coups d’État, des guerres civiles à tiroirs, de l’incompétence, de la corruption, des richesses consciencieusement pillées par tout le monde… et des dettes, aussi. Des centaines de millions de dettes envers les grands bailleurs de fonds de l’époque : les principaux États d’Europe.

Au moment où commence notre histoire, el presidente s’appelle Benito Juarez. Civil et de gauche dans un pays où le moindre officier rêve de présidence, il est s’efforce de durer, d’imposer une autorité fragile et de restreindre les privilèges d’un clergé aussi rapace qu’antipathique. Assez logiquement, le règlement de la dette internationale de son pays n’est pas sa priorité.

Malheureusement pour lui, les exilés pittoresques sont l’un des rares produits qu’exporte le Mexique. Dotés de moustaches impressionnantes, d’uniformes dorés et de noms à rallonge, ces généraux en déconfiture ou ces ambassadeurs autoproclamés vont de cour européenne en cour européenne, assurant les souverains qu’un puissant parti catholique, monarchiste et conservateur se tient prêt à renverser Juarez, pour peu qu’on lui donne un chef.

Rejetés partout, ils sont écoutés à Paris, où Napoléon III rêve de toutes sortes de choses un peu confuses, notamment d’empêcher les États-Unis d’annexer le Mexique[2], d’ouvrir un canal entre l’Atlantique et le Pacifique et d’une monarchie éclairée développant un pays sauvage pour le plus grand bénéfice des industriels français. Toutes choses impossibles à réaliser, sauf si… peut-être… une occasion favorable se présentait. Ou si on arrivait à la créer en douceur.

L’engrenage se met en place très lentement, sur plusieurs années. Tout commence par des démarches diplomatiques anglo-franco-espagnole, destinées à renégocier la dette mexicaine. Faute de résultat, les trois puissances passent à l’intervention armée, opérant ensemble, mais chacune avec ses arrière-pensées.

Une fois le port de Vera Cruz pris, ses occupants découvrent que c’est un nid à fièvres. Pour des raisons sanitaires, il faut donc quitter la côte et s’installer dans une ville de l’intérieur. L’armée de Juarez, peu désireuse de voir les envahisseurs s’implanter en profondeur, résiste. Paris se doit donc d’envoyer des renforts, d’autant qu’Anglais et Espagnols ont eu la sagesse de décrocher. Une fois Puebla prise, puisqu’on est à l’intérieur, pourquoi ne pas pousser jusqu’à Mexico ?

Certes, mais pour y faire quoi ? En parallèle, Napoléon III a travaillé au corps un archiduc autrichien plutôt libéral, Maximilien, le frère de François-Joseph. Après avoir beaucoup hésité, Maximilien accepte de devenir empereur du Mexique, s’il est appelé « par le vœu unanime de la nation mexicaine ». Employant des procédés qui tiennent plus de la farce que de la haute politique, l’armée française se charge d’obtenir ledit vœu unanime.

En attendant que le nouvel empereur arrive, les Français sécurisent leurs positions, puis se lancent dans la conquête d’un pays quatre fois grand comme la France. Le résultat est prévisible : les troupes d’élite du corps expéditionnaire battent l’armée de Juarez quand par hasard elles tombent dessus, mais la plupart du temps, elles s’épuisent à courir après des guérillas.

Une fois installé à Mexico, l’empereur Maximilien, dont tout le monde espère une solution politique et la création d’un Mexique nouveau, monarchique et libéral, s’avère aussi insuffisant que plein d’illusions. Très vite, il se retrouve aux mains du parti catholique, qui le pousse vers la réaction, brisant les espoirs des modérés. Entre deux maîtresses, il consacre l’essentiel de son temps à la création ex nihilo d’institutions voués à ne pas fonctionner faute de moyens et de personnel[3].

Pire, au nom de l’indépendance de la nation mexicaine, il entre en conflit avec ses protecteurs français, lesquels commencent à avoir des soucis plus pressants que le Mexique, le contexte stratégique évoluant tant en Europe, où la Prusse devient menaçante, qu’en Amérique du Nord, où la guerre de Sécession est terminée et où les États-Unis commencent à envoyer des « volontaires » renforcer Juarez.

Bref, après six ans d’occupation, le corps expéditionnaire français « victorieux » rembarque. Le régime de Maximilien s’effondre dans la foulée, et « l’empereur du Mexique » sera fusillé peu après.

Voilà pour la trame générale de l’intervention. Reste à examiner les acteurs, à la fois français, mexicains et internationaux. Alain Gouttman fait du bon travail : portraits et anecdotes allègent ce qui serait, sinon, le récit aride de mauvaises décisions, de bonnes décisions prises à contretemps, de bonnes décisions mal appliquées, de bonnes décisions bien appliquées qui ne débouchent sur rien, et de tout le reste de la palette des choix catastrophiques.

Bien sûr, il y a des passages obligés, à commencer par le combat de Camerone qui, plus tard, deviendra le cœur de la mystique de la Légion étrangère, mais on découvre aussi un tas de petits faits inconnus et de figures oubliées. Le maréchal Bazaine, qui laissera un très mauvais souvenir dans l’histoire de France avant de disparaître complètement des mémoires, joue avec compétence mais sans génie le rôle du général en chef écartelé entre les nécessités opérationnelles et la mauvaise volonté du « gouvernement » mexicain.

Maximilien, souvent présenté comme une pure victime, reprend des couleurs, pas forcément très sympathiques, mais plus contrastées. Sa femme Charlotte, qui devient folle au cours d’une mission de la dernière chance en Europe, est une authentique figure tragique, qui survivra soixante ans à son époux sans retrouver la raison.

Quant à Napoléon III, c'est le marionnettiste qui s’entortille dans ses propres ficelles, victime des longs délais de communication – deux mois pour un aller-retour – des ambitions de ses pantins et de plans mal définis desservis par une connaissance très approximative du terrain.

À un niveau plus terre à terre, on fait également la connaissance du colonel Du Pin, commandant de la première unité de contre-guérilla de l’armée française, pour qui l’action psychologique consiste à faire courir le bruit qu’il ne nourrit de seins de Mexicaines. Son successeur, le capitaine de Gallifet, passera à la postérité cinq ans plus tard comme l’un des fusilleurs de la Commune. 

Et puis, il y a des moments d’exotisme bizarre, comme les aventures de ce « bataillon nègre égyptien », prêté à Napoléon III par le Khédive, qui participera à toute la campagne avant de rentrer au Caire. Ses membres ont dû avoir de drôles d'histoires à raconter à leurs petits-enfants... 

Le parallèle ne figure pas dans le livre, mais lu depuis cet instant du XXIe siècle, le cycle « conquête, occupation, échec et évacuation » fait penser de manière troublante à la guerre d’Irak de 2003.

Voyons… des exilés intoxiquent les dirigeants d’une grande puissance à propos d’un pays lointain. La puissance en question, flanquée d’une coalition ad hoc, déclenche un conflit sous un prétexte sans rapport avec ses arrière-pensées. Victorieuse, elle se croit capable d’implanter un régime libéral dans un pays atomisé qu’elle connaît mal. Son armée s’impose sans peine sur le terrain mais peine contre la guérilla. Ses « soutiens » locaux songent en priorité à leurs propres intérêts. À son corps plus ou moins défendant, ses militaires commettent des atrocités. Son opinion publique se retourne, pas tant à cause des atrocités que parce que tout cela est cher, est loin et ne rapporte rien… Au bout du compte, la grande puissance se déclare gagnante et rentre au pays avec un budget plombé et quelques illusions en moins.

Évidemment, comparaison n’est pas raison. Quand on y regarde de plus près, les différences l’emportent sur les ressemblances, mais la trame générale sonne comme un avertissement aux pouvoirs trop ambitieux et pas assez informés.

Éditions Perrin, coll. Tempus, 11 €




[1] Même si, vu l’actualité, j’ai peut-être bien fait le mauvais choix.
[2] Après le rattachement du Texas à l’Union en 1845 et l’annexion de toutes les provinces mexicaines situées au nord du Rio Grande trois ans plus tard, cette crainte n’était pas absurde.
[3] Notamment le règlement d’une marine de guerre dans un pays dépourvu de flotte.

Commentaires

  1. Raaa, c'est malin: moi qui aime de plus en plus lire des bouquins d'Histoire, et qui suis depuis un moment intrigué par ce conflit, me voilà avec une bonne référence sur le sujet à ajouter à ma pile déjà bien haute :)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire