Orpheus - Corebook




Encore une fois, je relis Orpheus. Parce que je pense que c'est un jeu charnière, dans notre loisir.

Le pitch : de nos jours, les personnages appartiennent à une entreprise privée appelée Orpheus qui emploie des gens capables de se projeter sous la forme de fantôme. Les PJ reçoivent donc des missions de leur employeur, qui leur demande d'utiliser leur capacité extraordinaire pour espionner une cible, faire peur à quelqu'un, récupérer de l'information sensible, chasser un fantôme opportun... Et les jeux à mission, c'est pratique : les joueuses s'assoient à la table, et paf, on leur donne un objectif sur lequel elles se concentrent. Y'a pas à se creuser le ciboulot pour expliquer pourquoi elles s'impliquent : c'est leur travail. Si elles ne le font pas, elles ne peuvent pas payer leurs factures.

Et Orpheus, en tant que boite, est intéressante car c'est une structure qui offre plein de scénarios possibles, en plus des missions. Elle est minée de secrets, depuis sa création. Les différentes directeurs ne pagayent pas forcément dans le même sens. Si bien qu'en plus de répondre aux besoins de la clientèle, il est possible de jouer avec la rivalité des membres du conseil d'administration, de mettre en scène la concurrence des autres entreprises qui essayent de copier Orpheus, de s'interroger sur les missions bien moins officielles que la boite réalise pour des services gouvernementaux...

Jouer des employés fantômes offre en soi une mine de possibilités. On peut s'amuser avec le monde du travail (imaginez une réunion syndicale où tout le monde est présent sous une forme étherale). Alors oui, le problème, c'est est-ce qu'on a envie de retrouver en jeu la rigidité du boulot quand on passe déjà 5 jours par semaine au bureau ? C'est là où Orpheus est fort : on peut très bien ne jouer que l'aspect mission du jeu sans s'occuper de la routine. On ne raconte alors que ce qui se passe sur le terrain, et ça, c'est dépaysant.

Le livre de base accuse son âge, 16 ans après sa publication. C'est loin d'être un défaut, il est le produit de son temps. Pour montrer que quelque chose est génial, les auteurs le compare à... Napster. Mais ce qui frappe le plus, à la lecture, c'est à quel point X-Files étaient incontournable à l'époque : le bouquin regorge de passages où cette série télévisée est évoquée. Il y a une conspiration ? C'est comme dans X-Files. Vous voulez mettre en scène des agences gouvernementales louches ? Regardez donc X-Files. Vous voulez décrire une scène flippante ? Imitiez donc les séquences éclairées à la Maglite, comme dans X-Files. Et c'est bien normal, hein, en 2003, c'était LE truc. Mais pour le reste, le contenu du jeu est toujours d'actualité. On parlerait sans doute plus d'Orpheus comme d'une start-up, de nos jours, mais les fondations du jeu restent solides et ne nécessitent pas d'adaptation. D'autant que depuis 16 ans, on a eu plein d'autres films, séries et jeux vidéos exploitant ces thématiques, ce qui fait qu'on a des images mentales pour aider à construire une une histoire commune.

À plusieurs occasions, il est rappelé que la gamme dans son entier est prévu comme un film, et que donc ce livre de base correspond aux 20 premières minutes du film, la phase d'exposition. J'aime bien l'idée, mais force est de constater que si on faisait rentrer toutes les infos du bouquin de base dans 20 minutes de film, ça formerait un gloubiboulga des plus indigestes, Alors, forcément, 16 ans plus tard, notre référentiel narratif n'est plus tellement le film mais plutôt la série télévisée. Et je dirais que ce livre de base contient de quoi faire exister une belle première saison de 13 épisodes. Entre la compagnie, les missions de base, les personnages et leur vie privée, il y a largement de quoi s'occuper une saison complète sans avoir l'impression de délayer la sauce. En prenant modèle sur ces séries qui débutent sur une structure épisodique (dont chaque épisode est indépendant) avant de basculer sur un format serial où il y a un un arc narratif qui va traverser chaque saison, il y a de quoi faire. En effet, cette gamme de JdR prend à mon sens toute sa dimension en jouant la routine initiale des missions (ce soir, vous allez devoir pénétrer dans l'ambassade russe pour identifier une taupe) puis en surprenant les joueuses en basculant soudainement dans le metaplot proposé. C'est de cette rupture de ton que viendra, à mon avis, un grand plaisir ludique.

Du point de vue technique, le World of Darkness ne m'a jamais fait rêver avec ses d10 à gogo, mais je dois bien avouer qu'à la lecture, ça semble bien tourner. C'est pas foufou, j'en conviens, mais la mécanique est solide. Surtout que les pouvoirs des PJ sont pour une fois bien pensé : au lieu d'être divisé en sempiternelle 5 niveaux comme dans tous les jeux du WoD, les joueuses ont ici accès à tous les niveaux de puissance des pouvoirs. Par contre, en débutant, elles ne possèdent pas assez de points de Vitalité (qui est le carburant de ce pouvoir) pour les utiliser à pleine puissance plusieurs fois. C'est donc à elles de gérer leur réserve soit en utilisant plusieurs fois leur pouvoir à petit niveau ou bien une grosse fois à plein pot. Mais le choix est dans leur camp. Et pour favoriser la cohésion du groupe, il y a une mécanique toute simple qui permet de donner un bonus à un autre personnage en mixant deux pouvoirs. Ça émule vraiment bien l'idée de collaboration, c'est bien pensée.

C'est par moment très bavard, la description de chacune des 30 compétences débute par une petite nouvelle de mise en situation, plus une explication complète, plus une liste de spécialités, plus des exemples... Je comprends que ça rassure les débutants, mais boudiou que c'est du remplissage. Et puis il y a de soudains accès de précision déplacée, comme ces 12 manœuvres de combat qui sont expliquées en détail alors que le jeu se présente plus comme un jeu d'espionnage qu'un film HK avec des combats chorégraphiés. On me précise que non, oulala non, une pistolet lourd, ça ne fait absolument pas les mêmes dégâts qu'un revolver léger, surtout pas, malheureux. Et que serait un jeu sans ses règles d'électrocution, son système pour gérer les explosifs et les indispensables règles pour gérer l'hypothermie ou une canicule. C'est le problème des jeux de 256 pages : il faut les remplir coûte que coûte.

Mais pour le reste, le livre déborde de bonnes idées, de conseils et de matériel pour jouer. Même si la gamme fait la promesse de raconter une histoire complète à travers ses 6 ouvrages, on a avec ce livre de base entre les mains assez de données pour jouer pendant des mois. C'est même beaucoup. Idéalement, le livre aurait dû être une série de scénarios simples qui formerait un tutoriel : première mission, sortir de son corps et aller espionner des vivants. Deuxième mission, localiser un mort et obtenir un renseignement précis de lui. Troisième mission, chasser un fantôme d'un lieu. Quatrième mission, enquêter sur une nouvelle drogue qui circule en ville... En l'état, tout le matos est là, mais en vrac, c'est à vous de monter ça à votre goût. C'est pas si compliqué, honnêtement, mais si le jeu sortait aujourd'hui en adoptant un format moins estampillé WoD et en offrant une découverte plus progressive du background, ça serait une tuerie. J'ai envie de monter une première saison de 13 épisodes qui poserait juste les bases, sans m'occuper de la grosse intrigue qui semble sur le point d'éclater. C'est un livre qui propose des tonnes de pistes, Je vais relire la suite de la gamme avec envie, car j'ai oublié l'intrigue. Mais rien que pour le plaisir, ça vaudrait le coup de faire un résumé d'une saison 1 d'Orpheus qui proposerait juste des synopsis pour des séances courtes qui mettrait la table.

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