Warhammer RPG 4e édition

Dire que Warhammer traine un capital nostalgique est un euphémisme. C’est d’ailleurs l’une des premières expériences rôlistiques de votre humble serviteur. Trois éditions sont passées depuis – je les connais toutes, à défaut d’avoir joué à la 3e. Après FFG et un mastodonte trop en avance sur son temps (1), la licence revient en Angleterre, chez Cubicle 7, pour une édition annoncée depuis le départ comme un retour aux sources. Pour le meilleur ?

(1) Dans sa version initiale, Warhammer 3 se présente sous la forme d’une très grosse boite remplie d’accessoires inspirés du jeu de plateau pour faciliter la gestion des règles (mais ni plateau ni figurine, contrairement à ce qu’on a pu lire parfois, rien à voir donc avec l’orientation d’un D&D4). Le produit est imposant, luxueux et très cher. Son éditeur français, Edge, n'a d’ailleurs même pas essayé de traduire le jeu sous cette forme, préférant de plus traditionnels livres cartonnés, et quelques accessoires vendus séparément.

La couverture, référence directe à la vénérable première édition, annonce le ton. Ici, on n’est pas là pour titiller la fibre nostalgique, mais pour la saisir à pleines mains et te la secouer sévère. Soit.
Nous retrouvons donc des personnages définis par une dizaine de caractéristiques chiffrées sur 100, des valeurs de départ relativement faibles (les PJ débutants restent néanmoins plus performants que leurs équivalents de la 1ere édition) et des compétences dont le bonus s’ajoute à la caractéristique pour obtenir la valeur à ne pas dépasser avec 1d100.

Bien entendu, le système de carrières qui fait tout le sel du jeu est de la partie. Pas moins de 64 sont proposées ici, mélangeant poncifs de l’aventurier med-fan et croustillantes spécificités toute Warhammeriennes (raaaah, le ratier !). Plusieurs aménagements ont toutefois été réalisés.
Il n’existe plus de “débouchés” qui restreignent les changements de carrière. Le cout en XP est simplement plus ou moins élevé selon la cohérence du changement. Les carrières sont ainsi organisées en 8 filières (comprenant chacune 8 carrières, si vous avez suivi). Exit aussi les carrières de prestige : chaque carrière est désormais assortie de 4 niveaux de progression. Tueur de Trolls et Tueurs de Géants sont ainsi une seule et même carrière, à des niveaux différents. Ces niveaux ouvrent à de nouveaux bonus mais influent surtout sur le statut dont découlent les privilèges, les rapports avec autres classes sociales et les ressources financières du personnage.

Le statut est régi par quelques règles intéressantes, qui imposent notamment au niveau 3 et 4 d’y consacrer une partie du temps inter-aventures pour pouvoir être maintenu - oui, il y a aussi un petit système pour occuper le temps libre de votre personnage. Au-delà des aspects strictement techniques, les carrières prennent ainsi une place bien plus importante dans la trame narrative de la campagne. C’est un peu plus compliqué à gérer pour le MJ, qui va devoir jongler entre les impératifs pas toujours compatibles des différentes carrières de son groupe, mais c’est un véritable plus.
Les plus réfractaires pourront de toutes façons assez facilement s’en passer, car ces règles sont clairement identifiées au sein d’un bouquin où, globalement, l’éditeur a bien fait son boulot. Il faut dire que le niveau des productions Cubicle 7 (Tristan a déjà longuement parlé des World War Cthulhu par exemple, et , et Benoit de The One Ring sur une bonne partie de la gamme comme ici) est généralement assez élevé, et Warhammer ne déroge pas à la règle.

Epicez l’ensemble de règles de psychologie, de la corruption et des mutations ou encore les maladies, et vous obtenez ce savant gout de putréfié caché derrière une rutilante armure renaissance qui a fait (et fait encore) tout le charme de Warhammer.

Mais qu’est-ce qui cloche alors dans le Saint Empire de Karl Franz 1er?

Tout simplement que ce n’est pas toujours dans les vieux pots que l’on fait les meilleures recettes et la cuisine nouvelle a parfois besoin d’ustensiles un peu plus moderne (vous m’excuserez la double métaphore culinaire, je sors de table). Certaines excellentes idées rentrent ainsi en résonnance avec des concepts plus “à l’ancienne” (sans que ce terme ne soit péjoratif) et complexifie bien inutilement le résultat.

Les valeurs des caractéristiques, par exemple, sont généralement utilisées en l’état comme % de réussite, mais d’autres règles utilisent parfois une valeur dérivée correspondant aux dizaines de la caractéristique.

Mais ce sont les équivalents des points d’héroïsme qui symbolisent le mieux cette problématique. Il y a désormais deux jauges, le destin et la résilience. Le premier représente votre chance ou votre connexion avec les Dieux, le second votre capacité à avancer de vous-même en apprenant de vos erreurs. Ces jauges se divisent elles-mêmes en deux valeurs, une valeur courante qui se vide et se remplie régulièrement, et une valeur maximale, qu’il est elle-même possible de diminuer pour obtenir des bonus plus importants. Tous ces points ont des usages différents, mais très similaires. N’espérez pas vous y retrouver sans un solide pense-bête (ou une très bonne mémoire).

Côté univers, Cubicle 7 a fait le choix à priori malin de restreindre le terrain de jeu du livre de base au seul Reikland, la province de l’Empire qui abrite sa capitale. “A priori”, car en pratique, le résultat reste assez classique, avec un univers brossé de haut malgré la pagination plus importante que d’habitude qui lui est consacré. Résultat, on connait les principales villes de la province, les quartiers d’Altdorf ou encore son organisation politique, mais pas à quoi ressemble ce relais typique des bords de Reik ou ce petit fonctionnaire local qui refuse de remonter à son supérieur ce que les PJ lui relatent sur la présence du chaos dans sa ville (2).

(2) Ce en quoi il a tout à fait raison sans la savoir, les dits événements étant un habile subterfuge du fameux supérieur pour cacher des malversations à grande échelle - les PJ s’en rendront-ils comptent à temps ? (et ne me remerciez pas l’idée d’intrigue, c’est cadeau)

Ce livre de base n’est certainement pas avare en contenu, mais manque donc un poil de pragmatisme, de vrais outils ludiques… à commencer par un scénario. Cette absence est peut-être cohérente pour les boites à outil technique comme D&D ou les bacs à sable comme Vampire. Pour Warhammer, c’est une faute de gout impardonnable.

Je suis au final bien mitigé par le résultat. D’un côté, certaines lourdeurs bien pataudes font regretter que le travail de conception n’ait pas été poussé un peu plus loin. De l’autre, on y retrouve suffisamment la saveur de Warhammer pour que, si je devais relancer une campagne dans le vieux monde, je parte malgré tout sur cette édition.

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