Le Bureau des Atrocités


"Par l'abjuration de John Dee et le nom de Claude Dansey j'applique par les présentes la sous-section D, paragraphe 16, clause XII et vous attache au service dès maintenant et pour toujours. Et voilà, vous êtes enrôlée."


Le mélange de genre que propose le Bureau des Atrocités, du jeune écossais Charles Stross, n'est pas neuf pour un rôliste : de nos jours, des agences gouvernementales auprès desquelles les services secrets traditionnels donnent l'impression d'avoir pignon sur rue, luttent pour empêcher l'irruption des Grands Anciens et des autres monstres non-euclidiens du panthéon de Cthulhu dans notre monde. Ces agences ont repris le flambeau des investigateurs des Années Folles après que les nazis de la Société de Thulé, pendant la Seconde Guerre mondiale, aient tenté d'ouvrir un gigantesque portail au moyen des âmes sacrifiées dans les camps de la mort. La Laverie, l'agence d'espions thaumaturges au service secret de Sa Majesté, nichée au sein de l'organigramme britannique de l'espionnage et du contre-espionnage, perpétue cette lutte au moyen d'agents de terrain et d'informaticiens nécromants : la magie n'étant rien d'autre que de l'information transformée en énergie, l'informatique ésotérique (fondée sur le principe de Turing - celui qu'il n'a jamais publié, bien sûr) est ce qui vous permet par exemple de créer une boucle de Dho-Nha sur votre Palm.

"Vous garderez en mémoire que tous les grands cercles doivent être fermés par un terminateur. Des liens en suspens sont de puissantes sources de bruit dans le circuit, et il est indispensable d'ajouter un condensateur au bout pour l'absorber et empêcher les échos; un peu comme un bus SCSI sur un ordinateur ou un réseau local. Dans le cas du grand circuit d'Al-Hazred, le terminateur était à l'origine un bouc noir, sacrifié à minuit par un couteau en argent que seules des vierges avait touché, mais de nos jours nous nous contentons d'une résistance de 50 ohms."

Science appliquée à la magie, mythe de Cthulhu transposé de nos jours, mêlange du roman d'horreur et d'espionnage : voilà les ingrédients de ce récit iconoclaste, dont la post-face mentionne Delta Green, les Puissances de l'invisible, Lovecraft, Loki et Den Leighton. Le livre lorgne aussi du côté du roman noir : la rouquine en détresse, les coups sur la gueule, la cuite, sont là, mais aussi et surtout le cynisme et l'humour noir du narrateur, à la fois dans les descriptions et les dialogues. Tout ça mélangé donnerait déjà une formidable inspi pour Cthulhu / Delta Green, évidemment, mais c'est la dernière épice qui vient relever le tout :

"Êtes-vous accrédité AFFAIRE CAUCHEMAR VERT ?"

Si le Bureau des Atrocités était un scénario, ce serait une partie de Delta Green menée par un MJ de Paranoia ou Magna Veritas : la Laverie est un cauchemar bureaucratique à la Borges, et après avoir sauvé le monde le cauchemar du narrateur est de savoir comment justifier les frais occasionnés. Ce déchaînement d'humour absurde façon Brazil, mélangé aux digressions caricaturant les romans de hard-science, fait du Bureau des Atrocités un récit férocement drôle sans être potache, et un exemple pour les fans du Mythe de Cthulhu : oui, il serait possible, selon cet exemple, de jouer à Delta Green en mode humoristique, sans que les passages horrifiques en souffrent.
Un roman à lire (en VO ou VF) et un auteur à suivre.

Commentaires

  1. Autant les couvertures de la VO et de la VF ne donnent pas envie, autant ton article fait saliver.

    Encore un titre sur ma wish-list à cause de toi.

    C'est compatible avec le Cthulhutech annoncé par Mongoose ?

    RépondreSupprimer
  2. me parle pas des couvs, et surtout des vf signées Paternoster... par contre ça se passe de nos jours, donc c'est bien du Delta Green et non du post-apo lovecraftien.

    RépondreSupprimer
  3. Anonyme3/4/07

    Faut aussi savoir que Charlie, pas si jeune que ça à 42 ans, est l'auteur du Githyanki et du Slaad dans le fiend folio.

    RépondreSupprimer
  4. Anonyme3/4/07

    Et puis on peut lire son A Colder War (Une Guerre Plus Froide) ici:
    http://www.infinityplus.co.uk/stories/colderwar.htm

    (en vo seulement)

    RépondreSupprimer
  5. Anonyme26/4/07

    De lui aussi, la série "merchant princess", un faux air de princes d'Ambre, et assez sympathique.

    Ha, et sinon, vous aimez la fantasy... délire ? Dans ce cas, une série à 30+ volumes en anglais qui suit progressivement en français: Xanth, de Piers Anthony

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire