Lectures de rentrée

Pendant que Cédric prépare sa Révolution, je me rappelle au souvenir des lecteurs du blog - qui reste bicéphale, même si mes billets ne brillent pas par la quantité ! - pour signaler quelques bouquins de Fantasy se démarquant des standards du genre. Nous avions déjà parlé du "paradigme" (ça va nous faire des hits, ça, placer un mot comme ça !) actuel en Fantasy (cf. Trône de fer-blanc), donc vous connaissez nos goûts. Voici donc deux bouquins qui n'en font pas partie, promis juré !

La Quête de Nifft-le-mince - Michael Shea


Michael Shea connaît ses classiques : dans ses premiers livres, on trouve une reprise autorisée du personnage de Cugel (la Revanche de Cugel l'astucieux), et un hommage à la Couleur tombée du ciel de Lovecraft (the Color out of Time). Avec ce livre, qui obtint le World Fantasy Award en 1983 et qui ressort aujourd'hui en français pour la première fois depuis la disparition des éditions OPTA, on est en pleine "sword & sorcery". Le livre relate quatre aventures indépendantes du voleur Nifft-le-mince et de son compagnon, le solide Barnar. De Vance, Shea a retenu les décors baroques, la préciosité et la truculence des personnages, mais Nifft, audacieux, entreprenant et talentueux, n'a pas grand-chose en commun avec un escroc malchanceux comme Cugel, et, de fait, Nifft et Barnar font plus penser aux Fafhrd et Souricier gris de Leiber. Mais ces références à des auteurs connus ne suffisent pas à décrire ce livre. Ce qui fait l'intérêt de ce roman, plus "vintage" que vieilli, c'est l'imagination débridée de l'auteur, dont les descriptions font naître des images mentales saisissantes. Car Nifft et Barnar ont souvent affaire, dans leurs aventures, à des démons ou divinités oubliées, et sans faire une surenchère d'horreur, Shea réussit à donner une ambiance unique à son monde. L'éditeur a choisi un fragment d'une toile de Grünewald pour illustrer le livre, mais un Hyeronimus Bosch aurait tout aussi convenu. La 1e aventure donne le ton : Nifft et Barnar sont contraints par un seigneur d'aller chercher son fils, invocateur malheureux entraîné vivant dans les enfers. Si les tribulations des deux compères sont assez classiques, les scènes décrites et les monstres imaginés sont saisissants d'inventivité et de grotesque. Si d'aventure vous jouez à Dying Earth avec le supplément Turjan's Tome of Beauty and Horror, vous tenez là l'exemple parfait de mélange de cape & d'épée et d'horreur qui fait la spécificité de ce style de jeu. Peut-être que Point continuera à traduire Shea, et notamment les deux romans qui font suite à la Quête de Nifft-le-mince, The Mines of Behemoth (ça sent le Pulp !) et A'rak. J'espère juste que la qualité de production s'améliorera, car il n'y a que dans des bouquins Mnémos que j'ai vu autant de coquilles.

Le Codex Merlin - Robert Holdstock

Attention, je perds toute partialité en parlant de cet auteur, dont la Forêt des Mythagos figure dans mon Top 10 des lectures SF/Fantasy - avec le Cycle du 2nd Soleil de Teur de Gene Wolfe et les Seigneurs de l'Instrumentalité de Cordwainer Smith, pour n'en citer que quelques-uns. Je sais que tout le monde n'est pas convaincu par le cycle des Mythagos, et je n'irai pas jusqu'à dire que j'ai tout compris à Lavondyss. Mais j'ai rarement été aussi transporté par une ambiance, à tel point que chaque fois que je relis un de ces textes, j'ai l'impression de pouvoir humer la fragrance des sous-bois. Holdstock aime à réutiliser et retravailler des concepts et des idées d'un roman à l'autre, et on retrouve dans le codex Merlin une idée ébauchée avec les Mythagos : la quête de Jason et des Argonautes, et le mélange des mythologies et des cultures. Le codex Merlin propose trois récits, narrés par Merlin, où l'on apprend que son origine est bien antérieure à l'époque d'Arthur, et qu'il faisait partie à l'époque héroïque de la Grèce de l'équipage de l'Argo, commandé par Jason. Les romans se situent à l'époque du sac de Delphes par les celtes, mais la perméabilité du temps et des frontières entre le monde des vivants et des morts font que se mélangent thèmes et personnages grecs et celtes. Que ceux qui ont peur de voir une nouvelle interprétation du personnage galvaudé de Merlin se rassurent, celle-ci est vraiment intéressante, et Holdstock se réapproprie totalement le personnage. Loin d'être hétérogène, le mélange de cultures et le passage de l'une à l'autre est, selon les cas, soit totalement cohérente, soit au contraire, quand le veut l'auteur, contrasté. D'autres auteurs auraient fait, à partir de la même idée, un roman indigeste plein de références cachées faisant appel à la culture du lecteur pour être décryptées, mais l'univers de Holdstock est à la fois plus accessible (tout est livré) et plus difficile (les histoires sont complexes, pleines de rebondissements, et les références aux mythes celtes et grecs se retrouvent dans leur contenu, mais aussi leur structure : la tragédie ou l'épopée grecque, ou la geste celtique). Au résultat, on a des livres à plusieurs niveaux de lecture, mais toujours foisonnant de personnages émouvants, de scènes saisissantes, et de détails pittoresques - prouesses des Héros celtes (la Prouesse des Cinq Sauts, la Prouesse de la Selle qui Tourne), rituels grecs de divination, ... Les deux 1ers tomes sont disponibles en poche, le 3 et dernier vient de sortir, et l'ensemble est incontournable pour tous ceux qui souhaitent lire autre chose que de la Fantasy tolkiennesque plus ou moins réussie.

Une critique d'ActuSF fait un bon panorama d'ensemble.

Commentaires

  1. Anonyme17/9/07

    Je me souviens avoir lu La Quete de Nift Le Mince au milieu des années 80 et d'avoir basé tout un scénario de Stormbringer sur l'histoire des enfers, en en reprenant presque in extenso la trame. Un très grand souvenir!
    -Guillaume '2-Gun'

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  2. Anonyme26/3/08

    J'arrive en retard sur le sujet mais j'ai entendu le nom de Gene Wolfe alors... Le cycle du second soleil de Teur est effectivement une grande œuvre, d'une qualité et maturité littéraire rare. J'ai essayé de lire "Soldat des brumes" , même talent mais l'histoire me semble confuse et j'ai du mal à accrocher. J'hésite donc à commencer "Le Chevalier Mage".
    Pour ma part (indépendamment de l'univers bien construit) je ne supporte pas le style d'écriture du "Trône de Fer", qui me semble scolaire et agaçant, une sorte de soap fantasy, et dire que c'est pire dans beaucoup d'autres cycles... Du coup je serai intéressé pour connaitre ton "top 10", mentionné au début de l'article, car j'espère y trouver des œuvres de qualité non encore lues. Si Cédric veut y adjoindre le sien, cela sera avec plaisir.

    Merci

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  3. Mon top 10 en fantasy ?
    Comme s'il y avait 10 bons auteurs de fantasy... ;o)

    Sincèrement, mon petit top 5 à moi que j'ai dans le désordre :

    - Fritz Leiber : le cycle des épées
    - Steven Brust : Vlad Taltos (même si certains volumes sont mineurs)
    - Serge Brussolo : Le château des poisons, L'armure de vengeance, Hurlemort... c'est pas de la vraie fantasy, mais ça m'inspire plus que n'importe quel navet medfan
    - Michael Moorcock : "Le Chien de guerre et la douleur du monde", un livre sur cinq pour le reste de sa production
    - Marion Zimmer Bradley : le cycle féminin d'Avalon et, j'ai honte, La Romance de Ténébreuse (même si c'est du space medfan soapien)

    Ça se voit que je n'aime ni les étiquettes ni la fantasy ?

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  4. Heuuu, mon Top 10 au débotté ? J'imagine que j'y mettrais du PK Dick, un peu de Lovecraft, tout Leiber ou presque, le dit de la Terre Plate de Tanith Lee, Dune, ...
    Il faudrait que je réponde à cette question en étant devant mes rayonnages, parce que là j'ai envie de tout et rien citer à la fois. :)

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