Après les enquêtes de Patrick Kenzie et Angie Gennaro et Shutter Island, voici le temps venu du Dennis Lehane nouveau. Sans surprise, son roman parle de Boston et de la police, les deux mamelles Lehanienne.
The given day (traduit en français par Un Pays à l'aube) se déroule à Boston en 1918. Les soldats sont de retour d'Europe, le pays est secoué par de rudes luttes syndicales et des attentats anarcho-terroristes sanglants. Or les policiers de Boston, réunis au sein du Boston Social Club, se serrent la ceinture depuis des années. Le maire a gelé les salaires pour participer à l'effort de guerre, mais maintenant que la Grande Guerre est terminée, le niveau de vie des policiers bostoniens est dérisoire. Une hérésie politique est sur le point de prendre vie : les flics veulent transformer leur club social en syndicat et parlent de grève à mots couverts. Or, avoir des idées pareilles, c'est assurément être bolchévique, car les forces de l'ordre sont au service du peuple et n'ont pas le droit d'entrer en grève.
Le récit s'articule autour de trois axes :
- d'un côté, on suit en fil rouge la carrière du joueur de baseball Babe Ruth, une légende américaine comme on n'en fait plus;
- de l'autre, on se focalise sur la famille Coughlin, flics de père en fils, qui va se retrouver écartelée par les choix politiques des différentes générations de policiers;
- enfin, Luther Laurence, un jeune Noir engoncé dans le racisme quotidien d'une Amérique encore arriérée du point de vue raciale.
Au problème syndical viennent s'ajouter une épidémie d'influenza (tiens, tiens, ça me rappelle quelque chose...), une histoire d'amour impossible, une histoire mafieuse et tout un tas de magouilles politico-municipales. Bref, ce n'est absolument pas du polar, c'est une fresque sociale qui dépeint Boston au moment où elle accède à une forme de maturité. Certains dogmes se fendillent, la modernité s'insinue entre les states de la lutte des classes.
J'ai pris peur en lisant le premier chapitre car il raconte un match de baseball. Or le vocabulaire de ce sport est très éloigné de ma connaissance lexicale de l'anglais, du coup cette ouverture était de l'hébreu pour moi. Mais une fois passé ce coup d'envoi, la langue est redevenue plus classique. La thématique du roman est bien évidemment faussement historique : bien que basée sur des faits véridiques, elle est en tout point une réplique rétro de certaines obsessions actuelles. Dennis Lehane cite souvent Montréal en exemple dans son roman, tandis que le ville a sombré dans les émeutes. Or les policiers de Montréal sont encore en grève de nos jours (même s'ils continuent de travailler dans la rue, ils contestaient il y a peu encore en portant des pantalons non réglementaires). Bien sûr, on est loin des émeutes sanglantes de 1918, mais la lutte syndicale reste un enjeu en Amérique du nord, où certaines entreprises ferment des magasins dès qu'elles soupçonnent que leurs employés s'affilient à un syndicat. Pour un Français, c'est particulièrement étonnant d'entendre ses collègues ne pas oser prononcer le mot syndicat sur un lieu de travail de peur que la direction taille dans le gras avant que le cancer bolchévico-anarcho-protestataire tendance Julien Coupat ne vienne mettre le feu au bon déroulement des affaires. Et puis, bien évidemment, il y a le racisme, que tout le monde semble oublier en prétextant que c'est de l'histoire ancienne maintenant qu'un métis ayant pour deuxième prénom Hussein est à la Maison Blanche, mais qui dans les faits reste aussi tangible que la fracture sociale de notre petit monde en crise. Difficile de ne pas penser aux soldats qui rentrent d'Afghanistan quand Lehane parle des vétérans de 14-18 s'en revenant de la lointaine Europe.
The given day est à la fois un superbe morceau d'histoire nord américaine qui sent le réel et un coup de rétroviseur de 700 pages sur la lutte des classes pour montrer que le socialisme n'est plus à la mode mais que les fondements de son existence sont toujours là.
The given day (traduit en français par Un Pays à l'aube) se déroule à Boston en 1918. Les soldats sont de retour d'Europe, le pays est secoué par de rudes luttes syndicales et des attentats anarcho-terroristes sanglants. Or les policiers de Boston, réunis au sein du Boston Social Club, se serrent la ceinture depuis des années. Le maire a gelé les salaires pour participer à l'effort de guerre, mais maintenant que la Grande Guerre est terminée, le niveau de vie des policiers bostoniens est dérisoire. Une hérésie politique est sur le point de prendre vie : les flics veulent transformer leur club social en syndicat et parlent de grève à mots couverts. Or, avoir des idées pareilles, c'est assurément être bolchévique, car les forces de l'ordre sont au service du peuple et n'ont pas le droit d'entrer en grève.
Le récit s'articule autour de trois axes :
- d'un côté, on suit en fil rouge la carrière du joueur de baseball Babe Ruth, une légende américaine comme on n'en fait plus;
- de l'autre, on se focalise sur la famille Coughlin, flics de père en fils, qui va se retrouver écartelée par les choix politiques des différentes générations de policiers;
- enfin, Luther Laurence, un jeune Noir engoncé dans le racisme quotidien d'une Amérique encore arriérée du point de vue raciale.
Au problème syndical viennent s'ajouter une épidémie d'influenza (tiens, tiens, ça me rappelle quelque chose...), une histoire d'amour impossible, une histoire mafieuse et tout un tas de magouilles politico-municipales. Bref, ce n'est absolument pas du polar, c'est une fresque sociale qui dépeint Boston au moment où elle accède à une forme de maturité. Certains dogmes se fendillent, la modernité s'insinue entre les states de la lutte des classes.
J'ai pris peur en lisant le premier chapitre car il raconte un match de baseball. Or le vocabulaire de ce sport est très éloigné de ma connaissance lexicale de l'anglais, du coup cette ouverture était de l'hébreu pour moi. Mais une fois passé ce coup d'envoi, la langue est redevenue plus classique. La thématique du roman est bien évidemment faussement historique : bien que basée sur des faits véridiques, elle est en tout point une réplique rétro de certaines obsessions actuelles. Dennis Lehane cite souvent Montréal en exemple dans son roman, tandis que le ville a sombré dans les émeutes. Or les policiers de Montréal sont encore en grève de nos jours (même s'ils continuent de travailler dans la rue, ils contestaient il y a peu encore en portant des pantalons non réglementaires). Bien sûr, on est loin des émeutes sanglantes de 1918, mais la lutte syndicale reste un enjeu en Amérique du nord, où certaines entreprises ferment des magasins dès qu'elles soupçonnent que leurs employés s'affilient à un syndicat. Pour un Français, c'est particulièrement étonnant d'entendre ses collègues ne pas oser prononcer le mot syndicat sur un lieu de travail de peur que la direction taille dans le gras avant que le cancer bolchévico-anarcho-protestataire tendance Julien Coupat ne vienne mettre le feu au bon déroulement des affaires. Et puis, bien évidemment, il y a le racisme, que tout le monde semble oublier en prétextant que c'est de l'histoire ancienne maintenant qu'un métis ayant pour deuxième prénom Hussein est à la Maison Blanche, mais qui dans les faits reste aussi tangible que la fracture sociale de notre petit monde en crise. Difficile de ne pas penser aux soldats qui rentrent d'Afghanistan quand Lehane parle des vétérans de 14-18 s'en revenant de la lointaine Europe.
The given day est à la fois un superbe morceau d'histoire nord américaine qui sent le réel et un coup de rétroviseur de 700 pages sur la lutte des classes pour montrer que le socialisme n'est plus à la mode mais que les fondements de son existence sont toujours là.
Tu donnes énormément envie Cédric, comme très souvent. Je verrai à me procurer celui ci.
RépondreSupprimersuperbe livre, dont je craignais la lecture au départ, plus habitué à la série Mckenzie mais je fus bluffé par l'ambition du livre à la base et à sa réalisation parfaite sur un moment charnière des USA et blaklisté car dire socialisme c'est dire satan
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