Le complot contre l'Amérique


Rien de tel qu'une bonne tranche de littérature blanche pour se changer les idées après de la SF ou de la fantasy. Mais une fois débuté Le complot contre l'Amérique, surprise, ce n'est pas tout à fait de la littérature blanche puisque derrière ce timbre svastiké se cache une uchronie. Ah ben mince alors, s'ils se mettent à cacher de la SF dans le rayon général, où va le monde ?

Le livre se construit sur l'hypothèse suivante : et si l'aviateur Charles Lindbergh avait battu Franklin Delano Roosevelt aux élections en 1940 ? Énoncée de la sorte, cette hypothèse de travail ne me disait rien, mais 500 pages plus tard, j'ai compris que l'Amérique aurait pu prendre un sacré coup de pied au cul avec un tel président. Car si je connaissais le Lindbergh tragique en père à qui l'on a arraché un bébé et le Lindbergh héroïque du Spirit of Saint Louis, j'ignorais que le bonhomme avait reçu la médaille de l'ordre de l'Aigle en 1938 des propres mains d'Hermann Göring, qu'il avait quelques déclarations dieudonnesques sur le peuple juif et qu'il trouvait que tonton Adolph était un grand homme.

Philip Roth va plus loin en faisant de son Lindbergh un antisémite avançant caché qui signe des accords avec l'Allemagne nazie et s'engage progressivement dans une politique intérieure d'assimilation des Américains d'origines juives. Et pour raconter les 4 ans du mandat présidentiel de Lindbergh, l'auteur use de l'auto-fiction puisqu'il raconte sa propre enfance à Newark durant cette période qui n'a jamais existé. C'est à travers cette chronique familiale de la famille Roth que l'on sent progressivement poindre comme une odeur de pourriture. Il n'y a pas de camps de concentration, ils ne doivent pas porter d'étoiles jaunes, et pourtant, cette Amérique lindberghienne glisse lentement dans un antisémitisme de complaisance.

Philip Roth y raconte donc autant comment l'Histoire fait un pas de côté avec cette hypothèse Lindbergh (que Robert Harris avait déjà en partie explorée dans son excellent Fatherland puisque son Lindbergh devenait alors ambassadeur américain à Berlin) qu'il raconte de l'intérieur les affres d'une famille qui se définit comme "juive par hasard". Sa propre communauté est divisée, sa famille s'affronte face à la politique de Lindbergh, et le jeune Philip grandit dans cette drôle d'époque où l'Amérique ne veut pas faire la guerre pour cette Europe trop lointaine.

Je ne connais pas le degré de vérité pour ce qui est de la part autobiographique du roman, mais à la fin du livre, Roth résume la vraie vie des personnages historiques qu'il a détournés pour le bien de sa fiction. Les idées d'Henry Ford en matière d'hygiène politique et d'internationale juive sont brièvement exposées : on ne m'avait pas parler du monsieur sous cet angle dans mes cours d'économie...

Le livre m'a aussi fait beaucoup penser à La séparation de Christopher Priest mais également à Les extraordinaires aventures de Kavalier et Clay de Michael Chabon.

Le complot contre l'Amérique est un bon moyen de mettre un pied dans le principe de l'uchronie si l'on est allergique à la SF. C'est une uchronie blanche, une belle manière de rendre hommage à la famille et au quartier. Et si au passage ça sert de piqûre de rappel contre les dérives du fascisme, c'est tant mieux.

Note pour la traductrice (qui lit certainement ce blog, c'est bien connu) : pour faire la différence entre la ville de New Brunswick dans le New Jersey et le New Brunswick canadien (qui sont tous les deux utilisés dans le roman), il y a un moyen simple : la province canadienne s'appelle en français le Nouveau Brunswick. C'est d'ailleurs la seule province canadienne qui est officiellement bilingue. C'était la minute de culture générale canadienne à l'occasion des JO.

Commentaires

  1. ça me donne bien envie, mais j'ai déjà "la séparation" en vue. Je trouve que c'est une bonne idée de s'intéresser à ce qui ne rentre pas forcément dans les notions éditoriales de la SF mais qui s'y prête bien quand même

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  2. cela fait 2 ans qu'il était dans mon défi ABC... mais jamais lu

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