Qiu Xiaolong - Les courants fourbes du lac Tai


L'avis de Cédric

Je vous laisse tout d'abord lire le billet de Munin ci-bas, il vend très bien ce roman. Moi, ma courte critique va être celle d'un ignare que la poésie, même millénaire, laisse plus froid que de l'azote liquide.

C'est une fois de plus une très belle ballade dans la Chine contemporaine. L'inspecteur Chen, biclassé policier/poète, est un homme profondément mystérieux à nos yeux américano-européens car sa réalité morale et intellectuelle est autre. Il vit de contradictions, le cul entre le passé et le présent, pion d'un système qui le dépasse mais qu'il comprend de mieux en mieux. C'est toujours un régal que de le regarder plus vivre que mener l'enquête.

Par contre, ce roman souffre du syndrome Arabesque. Chen est en vacances, et vlan, comme par hasard, il y a un meurtre à résoudre. Ben voyons. C'est dommage car cette rêverie environnementale et cette danse lascive entre deux êtres auraient très bien pu se passer de cette enquête accessoire. Mais si l'excuse scénaristique est un peu artificielle, la promenade sur les rives de ce lac aux courants fourbes est un enchantement que l'auteur à l'intelligence de mener jusqu'à sa logique conclusion... Bon, moi, comme je suis allergique à l'évocation permanente d'un obscur poète de la dynastie Ming et à la citation lettrée à chaque dialogue, mes yeux ont fait comme avec les chansons elfiques de Tolkien : ils ont glissé en diagonale. Je sais, je suis un bachi-bouzouk.

L'avis de Munin

Cela fait trop longtemps que l'on n'avait parlé de la série de l'inspecteur Chen, de Qiu Xiaolong. Après son billet de présentation en 2008, Cédric avait fêté les 20 ans de Tien'anmen en critiquant La danseuse de Mao en 2009. Entre temps, Qiu Xiaolong a publié un recueil de nouvelles, Cité de la Poussière Rouge, avant de revenir à l'inspecteur Chen avec un thème à la mode, la pollution, l'écologie et le développement durable.

Je vous arrête tout de suite : ne vous attendez pas à un éco-polar façon Zodiac de Neal Stephenson. La série ne fait aucune concession à ce qui fait sa spécificité, au contraire. Loin d'être un roman noir ou hard-boiled qui exposerait toutes les magouilles des élites chinoises en pointant du doigt une triste réalité, Les courants fourbes du lac Tai présente un Chen hiératique, déambulant autour du lac en faisant de la poésie, plus intéressé par la question de la pollution en raison de son attirance pour une jeune militante que par réelle motivation pour le sujet. Contemplatif, introspectif, là où d'autres accumuleraient scènes d'action et retournements de situation pour faire monter le suspense, le récit se concentre davantage sur les vers qu'inspirent à Chen la jeune militante et la pollution du site touristique, que sur la mort du directeur d'une usine de produits chimiques. Outre sa poésie délicate, le livre offre également de beaux moments sur l'identité et la reconnaissance, avec une économie de moyens qui n'est pas sans rappeler la grâce des maîtres du cinéma asiatique.

Livre de genre, les courants fourbes du lac Tai l'est finalement à peine. L'enquête ne présente aucun rebondissement, et, contrairement à toutes les règles du genre, le premier suspect présenté sera bien le coupable. Les premiers romans de la série étaient de bons polars, les derniers sont de beaux livres. Pour finir et pour le plaisir, l'ouverture de Millenium Mambo de Hou Hsiao-hsien.


Commentaires

  1. J'ai aimé dériver lentement du pur polar vers quelque chose de plus aérien à travers cette série, mais je me demande tout simplement à quoi bon continuer de prendre l'inspecteur Chen comme véhicule si l'enquête ne sert plus que de prétexte à la poésie ? Est-ce parce que les ventes ne seraient pas à la hauteur autrement ? Moi qui fait une allergie à la poésie, je me sens de plus en plus délaissé par l'auteur. Je comprends que cette maturation te plaise, mais ton billet donne clairement l'impression qu'on ce n'est plus du polar poétique mais de la poésie polarisée.

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  2. Si l'on appliquait une grille de "Polar Bingo" au livre, le score serait en effet pas terrible. Mais le polar est une représentation fantasmée et codifiée du travail d'enquête, et qu'est-ce qui empêche Qiu Xiaolong de proposer la sienne ? La société chinoise est suffisamment différente de la société occidentale pour que la représentation du polar le soit aussi. Est-ce que ça prive le livre de son droit à utiliser un policier comme personnage principal ? "M. Qiu Xiaolong, votre livre ne contient pas le quota minimum de bagarres et de fausses pistes. Nous vous retirons l'étiquette de polar et vous obligeons à le publier chez Mercure de France". :)

    Cela suit aussi la logique de carrière du personnage : à mesure qu'il s'élève dans la sphère politique, son travail devient de moins en moins celui d'un enquêteur criminel. L'enquête n'est ni plus ni moins un prétexte que la poésie. Qui, même si la nuance est mince, est celle de Chen, pas celle de Qiu Xiaolong. De toutes façons, on pourrait mettre sur la couv "un poème en prose de l'inspecteur Chen", j'achèterais quand même. Je serais peut-être frustré du peu de poésie par rapport à la taille de l'enquête, ceci dit.

    Le choix de l'auteur n'est finalement pas plus discutable que celui d'Alexandre Astier d'orienter sa série vers du drame au détriment des fans des sketches de la 1e heure.

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  3. J'aimais bien l'équilibre entre police et poétique. Comme je suis allergique à la poésie, les enquêtes de l'inspecteur Chen me sortaient un peu de ma zone de confort. Comme si l'auteur avait lentement augmenté la température de ses romans d'un dégré à chaque volume et que tel la légendaire grenouille, je ne me sois pas apperçu du subterfuge. Mais là, à lire ton billet, j'ai l'impression que la teneur en poésie dépasse mon seuil de tolérance.

    Je n'interdis pas à l'auteur de changer les règles du jeu, c'est lui le patron. Mais les gougnafiers de mon acabit risquent de décrocher si ça devient le festival du sonnet au lieu de rester cette tambouille plus sociale qu'était la série à ses débuts.

    C'est malin, je vais devoir lire ce bouquin pour en avoir le cœur net.

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