Joe Abercrombie avait non seulement, dans sa trilogie de la Première Loi, tordu le cou du Héros en Quête, mais il l'avait aussi jeté dans une fosse commune avec les cadavres du Sage Mentor et d'autres personnages de Fantasy, avant de copieusement pisser sur leur tombe. J'étais donc curieux de lire ce qu'il pouvait continuer à écrire. Best Served Cold est un roman indépendant situé dans le même univers. Quelques personnes secondaires de ses romans précédents y font leur apparition, mais il n'y a aucune continuité entre les livres. Les lire dans l'ordre permet une meilleure compréhension du contexte politique et culturel de l'univers, mais on peut très bien s'en passer.
La contrée de Styria est divisée entre des cités-Etats. A la tête de la plus puissante d'entre elles, le Duc de Talins est sur le point, après des décennies de guerre, d'écraser définitivement la coalition de ses rivaux et d'enfin unifier le pays. Mais, se méfiant de son général en chef, trop populaire, il décide de l'assassiner, ainsi que son frère avec qui elle commande à leur troupe de mercenaires. Celle-ci en réchappe, grièvement blessée, et, après une longue convalescence, entreprend une vengeance patiente et méthodique à l'encontre de tous les complices du meurtre de son frère. Elle se fait aider, pour y arriver, par un groupe hétéroclite : un ex-criminel, un maître-empoissoneur et son assistante boulimique, un barbare naïf et optimiste, et d'autres.
Le point de départ du livre est évidemment un hommage au Comte de Monte-Cristo : un destin prometteur cruellement brisé, un héros (une héroïne) trahi par ses proches, une vengeance patiemment ourdie, une fortune opportune apportant le confort des moyens matériels... Mais là s'arrête toute ressemblance. Edmond Dantès n'avait pas, avec lui, une telle équipe de bras cassés; mais surtout, sa vengeance n'était pas aussi sanglante, ni ne faisait pas autant de dommages collatéraux. La Geste des Princes-Démons et d'innombrables autres oeuvres nous ont appris, lecteurs de SF et de Fantasy, que la vengeance n'apportait aucune satisfaction, aucun plaisir. Mais rarement avait-elle produit autant de morts, brisé autant de personnes, et répandu autant de tripes sur le sol. Aucun des personnages n'en sortira indemne.
Le livre se lit d'une traite, sans temps morts, même si la greffe entre des genres différents (Fantasy, roman noir) ne prend pas aussi bien que dans son roman suivant (The Heroes, prochain billet). Parmi les faiblesses, on peut relever des éléments comiques, comme l'artisan en poisons, qui viennent atténuer le côté cynique et amer du livre, ou gâcher le traitement réaliste des autres personnages; ainsi que quelques retournements de situation sont excessifs, faisant penser aux twists à la mode à Hollywood après Usual Suspects. Malgré ces réserves, Best Served Cold est un audacieux pari, en très grande partie réussi.
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