Épisode 23
En deux mots
Ce volume de 350 et
quelques pages regroupe toutes les nouvelles de M. R. James. Pendant le premier tiers du XXe siècle, le bon docteur
James était le proviseur du collège d’Eton, la pépinière des élites britanniques.
Il meublait ses loisirs grâce à l’archéologie, la théologie… et l’écriture
d’histoires de fantômes.
Longtemps après sa mort,
ses quatre recueils ont été compilés en un seul gros bouquin chez Penguin.
C’est ce volume qu’a traduit NéO, en y ajoutant deux inédits. La postface fait
allusion à trois autres nouvelles restées à l’état de canevas et jamais
publiées. Au total, on arrive à trente et une nouvelles, plus un court texte
intitulé Quelques histoires que j’ai
essayé d’écrire, où James présente le canevas de plusieurs récits qui n’ont
jamais « pris ».
Pourquoi c’est bien
James est avant tout un
conteur.
Quand vous le lisez, vous
êtes en face de lui, à son club, par une vilaine nuit d’hiver. Vous avez un
verre d’excellent whisky dans la main, le feu pétille, et il vous raconte les
faits troublants qui se sont déroulés au presbytère de D. par une nuit de juin 1889,
laissant derrière eux un pasteur mort et son épouse traumatisée pour le restant
de ses jours. Lorsqu’il a terminé, vous rentrez chez vous en regardant
par-dessus votre épaule.
Ce n’est pas juste un
conteur horrifique qui vous embarque directement en enfer, c’est un narrateur
qui prend le temps d’installer l’ambiance, de poser des personnages secondaires
et de glisser de petites touches d’humour ici et là. (Cette partie-là de son
œuvre a vieilli : nous avons perdu des références, d’autres ont un peu
souffert à la traduction…)
À en croire la préface,
M.R. James avait théorisé sa méthode, et soutenait que pour qu’une histoire
fantastique fonctionne, trois critères devaient être réunis :
1. L’action doit se
dérouler dans un environnement familier.
2. La manifestation
surnaturelle doit être maléfique.
3. Elle ne doit pas être
expliquée. Pas d’occultisme, pas de pseudoscience, juste les faits.
Si on les reprend à un
siècle de distance, ces critères peuvent se lire :
1. L’action se déroule en
Angleterre, avec des excursions en France, en Allemagne ou en Scandinavie, à
une date comprise entre le début du XVIIIe siècle et le début du XXe. James
parlant de ce qu’il connaît, ses personnages sont souvent archéologues plus ou
moins amateurs, bibliophiles, religieux ou simplement des Anglais de la bonne
société. Manoirs, cathédrales, presbytères et autres demeures campagnardes sont
le terreau naturel de l’horreur.
2. Elle est toujours
maléfique pour quelqu’un, mais pas forcément pour le narrateur. L’un des
aspects fascinants de James est la manière dont il joue avec son cahier des
charges sur ce point. Certains de ses fantômes se vengent de leurs assassins,
d’autres font preuve d’une malveillance plus généralisée… Les narrateurs ne
sont pas toujours les victimes, ils ne sont parfois que témoins – oculaires ou
non, certains prennent connaissance des faits à des décennies de distance, en
enquêtant dans des archives, etc.
3. La conséquence de cette
absence d’explication est un fantastique impressionniste, où l’on n’est souvent
pas très sûr de ce qui s’est réellement passé… ce qui amplifie le malaise. Cela
contraste avec l’approche « détective du surnaturel » où un héros
bardé d’amulettes combat le mal (à la Carnacki) ou avec l’approche
« théorie unificatrice » où on sait que tout vient d’une même source
(à la Lovecraft).
Toutes ces considérations
théoriques méritent d’être mises de côté pendant un instant, au profit d’une
déclaration simple : gamin, j’ai été terrorisé par Cœurs perdus, l’une des premières nouvelles de ce recueil, et elle
reste très efficace vue par des yeux d’adulte.
Le comte Magnus est un classique de l’horreur qui apparaît dans de nombreuses
anthologies, tout le comme Le numéro 13.
Sortilèges a servi de base à Rendez-vous avec la peur, l’un des
meilleurs films de Jacques Tourneur. Et ainsi de suite, chacun se fera sa
sélection.
Pourquoi c’est lovecraftien
Sans le savoir, James a eu
une influence importante sur l’homme de Providence. La longueur en plus, L’Affaire Charles Dexter Ward peut
presque se lire comme un texte jamesien.
Pour citer Lovecraft
lui-même : « Là où les anciens fantômes classiques étaient pâles et
dignes, et perçus par la vue, le fantôme de James est maigre, d’une taille
naine, poilu, cauchemardesque, mou et répugnant, qu’on touche le plus souvent avant de le voir. »
Ajoutons que certaines de
ses créatures les plus effrayantes arborent des tentacules, et vous aurez le
portrait-robot du monstre selon Lovecraft.
Qu’en pensait Lovecraft ?
Pour résumer :
Lovecraft kiffait le Dr James. Il le kiffait grave. Il consacre plusieurs pages
d’Épouvante et surnaturel en littérature
à son œuvre et, à de très légères réserves sur certains textes près, il n’en
pense que du bien.
Pourquoi c’est appeldecthulhien
Des histoires où des
gentlemen érudits traversent des moments pénibles parce qu’une entité
déplaisante fait irruption dans leur monde si tranquille ? Où des vieux
bouquins et des vieilles pierres jouent des rôles prépondérants ? Où un
chercheur de trésor ouvre la dalle cachée dans le vieux puits pour se faire
immédiatement sauter à la gorge par une chose tapie là depuis quatre
siècles ?
Mais, me direz-vous, c’est
du fantastique « classique » !
En fait, pas tant que ça.
Pensez à un paysage, photographié par deux personnes. James fait des photos
très sombres, égayées par un détail – deux petits personnages souriants qui
discutent dans un coin. Lovecraft fait des photos sans détails pour les égayer,
mais ajoute une profondeur de champ qui manque à James (il prend un recul de
plusieurs milliers d’années, voire de siècles, alors que James se contente de
remonter au Moyen Âge, dans le pire des cas).
Mais c’est le même
paysage.
Pourquoi c’est maléficien
Cela ne veut pas dire que
ces histoires ne sont pas exploitables en fantastique « classique »,
même si je ne sais pas bien ce que veut dire cette expression. On y trouve bien
assez de sorciers et de sorcières, sans parler des démons, de pactes et ainsi
de suite, pour que l’effort soit minimal.
Démonstration : le
très bon scénario Une étrange maison de
poupée, paru il y a bien longtemps dans la boîte de Maléfices, doit un gros quelque chose à La Maison de poupées hantée, qui se trouve dans ce recueil.
Bilan
Qu’il soit mal connu en France n’empêche pas M. R. James d‘être
l’un des auteurs fantastiques les plus importants de la première moitié du XXe
siècle. Et ses histoires sont encore plus que lisibles – savoureuses.
Trouver ce recueil risque de vous prendre un moment. À défaut, vous pouvez vous rabattre sur Siffle et je viendrai (numéro 62 de la collection SF / Fantastique / Aventure, 1982). Ce premier recueil ne regroupe que neuf nouvelles, mais elles sont parmi les meilleures. Et il est légèrement plus facile à dénicher.
Mettez-vous en chasse. Croyez-moi, ça en vaut la peine !
Une fois la collec terminé, ou pourra avoir un best of ? ou un classement de ceux a telechar... oups a acheter pour sa liseu...oups pour avoir le livre chez soi ?
RépondreSupprimermerci en tout cas !
M.R. James a toujours été assez haut dans la liste de mes admirations personnelles-à-moi-que-j'ai. Je conseille, sans hésiter.
RépondreSupprimerPour le reste, le classement dépend beaucoup du trip recherché. J'essaye de couvrir aussi bien les histoires de mondes perdus que le pulp à l'ancienne ; le fantastique victorien que ses descendants des années 70 ou 80, et ainsi de suite.
Quand à "terminer la collec"... Il y a eu quelque chose comme 400 NéO, 250 en fantastique et 150 en polars. Je n'envisage pas de les acheter tous, ni même de critiquer tous ceux que j'achète.