Bob : d'éditeur à showrunner




Bob, nos lecteurs sont contents de vous revoir, cela faisait trop longtemps (NDLR : 2017 sur ce blog). Vous me permettrez donc cette première question : où étiez-vous passé ?
J'ai changé de medium, je suis devenu Showrunner.

Mais ? Pourquoi avoir quitté l'édition à qui vous avez tellement donné ?
Quand même les blogs littéraires commencent à parler davantage de séries  que de livres, il est de temps de se remettre en question, non ? Les gens sont beaucoup plus tolérants avec la médiocrité visuelle qu'avec la médiocrité littéraire. Combien de fois j'ai entendu quelqu'un dire d'une série "La saison 1 était pas terrible, mais après ça s'améliore". On tient 12 épisodes avant de se faire une opinion, mais dans le même temps, on aurait lu combien de pages ? A une vitesse de lecture moyenne, 1 page par minute ? 700 ? J'entends beaucoup moins de gens dire "Les 700 premières pages étaient pas terribles, mais après ça s'améliore". Aucune chance, vous avez jeté le bouquin bien avant. Mais la série, elle, elle tourne les pages pour vous. Le fameux "suspension of disbelief", pas besoin de l'activer, il est en train de manger des chips dans le canapé à côté de vous et de s'exclamer "Woah, c'est trop n'importe quoi, là !" en rigolant bêtement. Binge watching, binge drinking, votre cerveau est à peu près dans le même état dans les deux cas.

Pourtant, il existe de bonnes séries, on en a souvent parlé sur notre blog.
Ouais, Wired, l'Aliéniste, et toutes les autres. Mais c'est une goutte d'eau dans un océan de productions. Vous entendez beaucoup les gens parler de Wired à la machine à café, vous ? Faire une bonne série demande trop d'effort, pour une récompense finalement ridicule. L'adulation de quelques fans, puis l'oubli, avant de revenir à une sorte de non-vie sous forme de matière optionnelle à la fac. J'espère que mes séries finiront autrement qu'en version moderne de la lecture imposée de Madame Bovary au collège. Alors qu'une série médiocre : un pitch, des acteurs ciné sur le retour, quelques nouvelles têtes pas trop déglinguées par le star system hollywoodien, ça demande pas d'effort, et ça peut payer grave. De toutes façons, la seule chose qui compte, c'est de faire l'actualité du moment. Une série, ça se binge watch, mais ça ne se regarde pas à nouveau - mieux vaut attendre le reboot. Vous savez ce qui est plus naze encore que d'offrir des coffrets DVD ou Blu-Ray ? C'est de les regarder.

Et sur quoi avez-vous bossé, alors ?
J'ai trouvé un filon : je me place sur les adaptations de livres en séries. C'est là où je peux leverager mon expérience et déployer des synergies entre tous les acteurs transmedia impliqués - tu vois, je suis même en train d'acquérir les codes ! Je me suis d'abord servi de mon expertise en Fantasy pour devenir consultant sur les dernières saisons de Game of Thrones, après avoir réussi à en ejecter GRR Martin. J'ai bien aimé reprendre la saison 2 de Dirk Gently. "Everything is connected", c'est génial, c'est la meilleure excuse qu'on puisse trouver pour justifier toutes les incohérences de scénario possibles. Dommage qu'il n'y ait pas de saison 3, j'aurais dû mettre en avant le nom de Douglas Adams, dire que Dirk Gently était un prequel de H2G2, ou un truc comme ça.

D'autres projets ?
Je pense essayer de rester dans la SF. Ne nous leurrons pas, mon truc, ça a toujours été la Big Commercial Fantasy. Au début, Netflix faisait un peu attention à ses productions, les trucs HBO étaient soignés. Mais maintenant que toutes les plate-formes essaient de produire leur propre contenu, man, c'est devenu n'importe quoi ! Tu pioches cinq mots au hasard dans le dictionnaire, tu choisis deux titres de bouquins récents comme références, et blam, tu as un pitch pour lequel on te jette des millions à la figure. L'essentiel, c'est de pas se louper sur les décors et les costumes. Finalement, les gens regardent les séries comme leurs ancêtres allaient à l'opéra : ils venaient voir des costumes et des décors et mater le décolleté de la cantatrice. "Les Fourmis rencontre Game of Thrones : violence, décadence et acide formique".

Du coup, vous êtes spécialisés dans les adaptations de livres ?
Oui, mais il y a de la concurrence, je ne les ai pas toutes eues. The Terror, ça s'est fait sans moi par exemple. Dommage pour eux. Si ça n'avait tenu qu'à moi, vous auriez pas eu autant de scènes avec des officiers britanniques raides comme des piquets en train de boire du thé sur un bateau gelé au milieu de la banquise. Et Bosch. Heureusement que l'acteur n'est pas payé au mot, vu son texte dans l'ensemble de la série, il aurait à peine de quoi se payer un scooter à la fin des quatre saisons. Mais Connelly était sur le coup, et quand l'auteur est vivant et n'est pas polonais, c'est plus dur pour moi de travailler dessus. Jack Ryan, trop facile pour moi d'y mettre les mains. La future série Jack Reacher, c'est plus dur ! Lee Child est encore vivant, alors que Tom Clancy n'est plus qu'une licence. Du coup, j'ai pas réussi à imposer mon idée de mettre Tyrion acteur pour interpréter Jack Reacher. De Bons Présages, j'aurais pu aller plus loin, mais Gaiman est plus en forme que Pratchett. Ceci dit, c'est pas une règle gravée dans le marbre : en général, quand il y a du Stephen King quelque part, vous pouvez être sûrs que je suis pas loin derrière.

Je suis sûr que comme moi, nos lecteurs sont rassurés de voir que Bob est "alive and kicking".
Merci ! Continuez à me confier votre temps de cerveau, je vous promets de m'en occuper avec plein de séries ! Philip K. Dick avait dit : "You would have to kill me and prop me up in the seat of my car with a smile painted on my face to get me to go near Hollywood." En fait, on l'a mis dans un bus avec plein d'autres cadavres d'auteurs, et c'est moi qui suis au volant !

Commentaires

  1. "Les Fourmis rencontre Game of Thrones : violence, décadence et acide formique". ça sort quand ? Je veux voir ça ! ^^

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  2. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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