C'est trop calme, sur ce blog, le moment est venu d'attirer de nouveaux visiteurs qui, appâtés par le titre, viendront lire ce billet en diagonale mais découvriront les billets cthuliens de Tristan ou nos critiques de JdR et deviendront dès lors de fidèles lecteurs.
Robin DiAngelo est sociologue de formation et blanche. Pendant 20 ans, elle a animé des ateliers de sensibilisation à la diversité culturelle dans des entreprises. Vous savez, ces formations que les employés suivent à contrecœur, parce que c'est obligatoire. Et donc fort de cette expérience de terrain et de ses recherches universitaires, elle a fait le constat de l'existence d'une fragilité blanche. Il ne s'agit pas là d'une variante du "babtou fragile" (la victime en puissance) mais du constat que nous les blancs vivons nos vies sans prendre conscience de notre race. Dans nos environnements blancs, nous sommes la race par défaut et majoritaire, donc on ne pose que très peu de questions sur la question raciale. Si bien que quand le sujet de la race arrive dans une discussion, nous sommes peu préparés à en parler car nous y avons peu réfléchi. Alors qu'à l'inverse, les non-blancs qui vivent dans notre société reçoivent le rappel constant de leur différence, ce qui fait qu'ils sont plus à l'aise avec ces concepts. Si bien que dès qu'on nous parle de la réalité quotidienne des non-blancs, on est automatiquement sur la défensive. Car le racisme systémique repose en grande partie sur la non remise en question de ce statu quo qui nous est bénéfique. Et donc nous sommes socialement équipés pour défendre ce racisme intrinsèque. DiAngelo donne de nombreux exemples des mécanismes de défense que nous mettons collectivement en place pour ne surtout pas nous remettre en question.
Un des problèmes majeurs, c'est que le racisme est devenu une telle tache morale dans notre société qu'être taxé de raciste est la pire des infamies. Si bien que quand on commet involontairement un impair raciste, on est persuadé que notre interlocuteur nous met immédiatement dans le camp du KKK. Et donc par réflexe, on va trouver plus simple de nier l'existence du problème plutôt que de s'avouer un petit peu raciste. Car Robin DiAngelo part du principe que tout le monde est raciste, puisque le système blanc au complet l'est. Elle même commet des bourdes racistes dans ses ateliers ou ses interactions avec ses collègues non-blancs. La bonne volonté et la sensibilité ne suffisent pas. Ainsi je me perçois comme un non-raciste, pourtant j'ai retrouvé plusieurs de mes réflexions dans les exemples que l'auteure pointe pour montre nos petits biais cognitifs (dont le fameux "Heureusement, nos enfants sont moins racistes", qui permet de se dédouaner, alors que dans les faits, nos gamins reproduisent notre inertie raciale qui permet au racisme ambiant de se maintenir en place).
Un des concepts que je ne connaissais pas, c'est les larmes des blanches. C'est le fait que face à une injustice raciale, une blanche va plus facilement se mettre à pleurer publiquement. Dès lors, l'attention du groupe se détourne du non-blanc qui est en train de subir une iniquité pour se focaliser sur le réconfort de la blanche.
Les solutions ? Il n'y en pas. En fait, l'auteure insiste sur un point particulier : ce n'est pas aux non-blancs de nous dire quoi faire. Ils ont déjà assez de merdiers à gérer quand ils doivent cohabiter avec nous, ce n'est pas à eux que revient la charge de faire notre éducation. Donc c'est à nous de prendre conscience de nos biais, de facilité la mixité, de ne surtout pas prendre la lumière quand un non-blanc est confronté à un problème... Et le plus dur, à mes yeux : dénoncer le racisme quand on en est témoin. Car nous sommes programmés pour ne pas faire de vague. La mécanique sociale va punir celui ou celle qui remet en question les règles raciales tacites.
Évidemment, il est possible de repousser tout cela de la main en prétextant que tout ça, c'est la réalité raciale des États-Unis et du Canada. Pourtant Robin DiAngelo appuie une partie de sa réflexion sur la notion d'habitus développée par Bourdieu. Et même si l'Europe n'a pas exactement la même expérience vis-à-vis du racisme, les constats fait par l'auteure s'appliquent des deux côtés de l'océan.
Il serait facile de terminer en vous disant que c'est une lecture "coup de poing", une prise de conscience "salutaire" ou je-ne-sais-quel lieu commun journalistique qui cochera tous les cases des gens qui dénoncent la bien-pensance. Je pense au contraire que c'est le genre de bouquin qui ne convainc que les lecteurs ayant déjà entamé une prise de conscience sur le sujet. Je n'imagine pas un lecteur hostile lire un livre qui s'intitule si frontalement "fragilité blanche" et avoir une épiphanie (mais c'est sans doute un a priori de ma part). Par contre, si vous avez déjà suivi des ateliers liés à la mixité ou aux biais culturels, c'est un ouvrage qui permet de mieux comprendre les réactions épidermiques de certains, la frilosité du groupe, le scepticisme des non-blancs face à l'exercice et nos propres contradictions de gens bien intentionnés qui perpétuent malgré tout le racisme institutionnel.
"Je pense au contraire que c'est le genre de bouquin qui ne convainc que les lecteurs ayant déjà entamé une prise de conscience sur le sujet" : je suis bien d'accord et c'est même sans doute pire. Le principe de la logique du "check tes privilèges", qu'ils soient raciaux, sexuels ou autres, me semble surtout avoir pour effet de développer la conscience de l'intérêt à les conserver.
RépondreSupprimerCe passage du petit blanc de la classe en soi à la classe pour soi me paraît une perspective beaucoup plus réaliste à long terme, l'être humain étant ce qu'il est, que la spéculation sur la mauvaise conscience à laquelle beaucoup de défenseurs de l'égalité semblent faire aujourd'hui une confiance extrême.
J'avoue que, tactiquement, je ne les comprends pas du tout.