Entrevue avec Tristan Lhomme à propos de la campagne Les Encagés


(Note de la rédaction : les Encagés est une campagne écrite par Tristan, que Cédric avait déjà présentée dans cet article.)

Bonjour Tristan,

Je nie tout.

Tu as choisi de camper ta campagne Les Encagés dans le Bordelais. As-tu un attachement personnel à cette région ?

Oui. Ma marraine a habité à Bordeaux ou dans certains des villages où se déroule l’action. Du coup, il m’est arrivé de passer des vacances dans la campagne bordelaise, il y a bien longtemps… J’en garde le souvenir d’un décor de vignes et de coteaux assez différent de mes forêts normandes, de l’idiot du village qui avait eu le visage arraché par un coup de fusil et de boulangers qui devenaient inexplicablement hostiles quand on leur demandait – en toute innocence – un pain au chocolat.

Un bien beau pays, en vérité.

J’ai donc un lien avec la région, mais des souvenirs d’adolescence ne font pas un lien fort. Lors de la rédaction, je me suis beaucoup appuyé sur Wikipédia, comme tout le monde.

Les lieux visités par les PJ sont réels, les différents villages où se déroule l’action existent bel et bien… Est-ce important pour toi de jouer avec le réel pour renforcer l’immersion ?


« Un » réel, plutôt. Je n’ai pas de problèmes à essayer de restituer un réel « sur plan », genre Arkham en 1926, mais j’ai copieusement trafiqué le « vrai » Bordelais pour les besoins de mon histoire – et pour laisser au meneur de jeu le plaisir de combler les blancs que j’ai délibérément laissé ici ou là.

Prenons un exemple : le château de Dardenac. Je le connais bien et j’aurais pu le décrire, que ce soit en quelques lignes ou plus en détail. Je m’en suis passé. Les meneurs de jeu épris de réalisme peuvent en trouver des photos en deux clics de Google. Ceux qui se fichent de savoir que c’est une grosse bâtisse XIXe siècle peuvent en faire complètement autre chose – une forteresse médiévale plus ou moins croulante, par exemple.

Et pourquoi avoir en particulier placé le récit en 2013 ?

Parce que quand j’ai écrit le premier jet des Encagés, nous étions en avril 2013 – mes archives attestent que j’ai livré la version 1 à Sans Détour le 21 avril 2013, et qu’ils l’ont refusé début mai, pratiquement au moment du début de la campagne. Si les choses s’étaient passées comme prévu, il serait sorti à la rentrée 2013, et mes gendarmes auraient opéré dans « le présent ».

Au fil des quatorze ou quinze itérations successives qui se sont succédé entre 2013 et 2020, je me suis posé plusieurs fois la question de changer la date, mais en définitive, quand la publication est devenue un horizon concret, j’ai décidé de rester et de jouer « historique ».

En dehors du fait que j’aurais perdu quelques bouts d’information qui n’auraient plus été pertinents, l’un des éléments qui a joué dans cette décision a été… le Brexit. Cette campagne comporte plusieurs volets britanniques. Or, en 2013, la Grande-Bretagne est un membre – réticent – de l’UE. Après 2016, elle est sur le départ, ce qui aurait sûrement coloré les relations des gendarmes avec certains suspects et avec leurs homologues du CID, et plus je me serai rapproché du présent, plus ces relations auraient été compliquées. Or, je n’aime pas rajouter des complications pour pas grand-chose. Et puis pour vous, je ne sais pas, mais vu d’ici, le début du mandat de François Hollande, avant Charlie, ça donne l’impression d’une période à peu près paisible.

Est-ce toi qui as fait le choix de motoriser la campagne avec Cthulhu Hack ou bien est-ce une contrainte éditoriale ?

Ce n’est pas un secret : Les Encagés est né comme un scénario pour L’Appel de Cthulhu et plus spécifiquement pour Sciences forensiques et psychologie criminelle. Il a été refusé parce qu’il était trop long et que le supplément lui-même était déjà passablement massif. Après plusieurs années à essayer de le refourguer à Sans Détour dans des versions retravaillées qui ne rentraient jamais dans leurs plannings, cet éditeur a fini par percuter un très méchant récif et par couler…

À partir de là, j’avais le choix entre 1) ranger définitivement Les Encagés dans le tiroir aux invendus ; 2) attendre que Chaosium annonce le nom du repreneur français de L’Appel de Cthulhu et tenter ma chance avec lui ; ou 3) envoyer un mail aux XII Singes qui cherchaient des histoires pour leur collection Dark Monkeys.

Comme j’avais déjà eu de bonnes expériences sur Wastburg avec MM. les Singes, j’ai opté pour la dernière solution. Bien m’en a pris !

As-tu eu des retours de la part de rôlistes gendarmes sur ton traitement de leur institution ?

Pas vraiment, non, en dehors d’un commentaire sur l’inflation des grades dans l’équipe – deux capitaines et trois lieutenants, ce n’est apparemment pas « réaliste ». Mais c’est le niveau de « réalité » que je visais, celui d’un polar ou d’un téléfilm.

Quel est ton ressenti sur les différents retours que tu as reçus sur Les Encagés ?

Un petit secret d’auteur : la plupart du temps, on livre un texte, on reçoit ses exemplaires… et puis plus rien. Un ou deux retours sur Casus NO pour dire que c’est bien, mais que ça aurait été mieux motorisé par ce système serbo-croate qui est hype cette semaine, et si possible en mettant en scène des hobbits samouraïs psioniques dans un monde de space opera plutôt qu’avec de vulgaires gendarmes. Ensuite, il y a une fiche Grog qui divulgâche les ressorts de l’intrigue. Et c’est fini. Parfois, des années plus tard, on croise des joueurs qui ont joué et aimé votre bébé, mais c’est loin d’être systématique.

Pas cette fois.

Presque tout de suite, il y a eu des retours, des comptes rendus de partie, des actual play… et même des meneurs de jeu qui m’ont contacté pour me raconter comment ça se passait chez eux. Parmi eux, j’ai la grande chance d’avoir eu un auteur de romans policiers qui fait jouer une table entière de collègues, ce qui fait que j’ai sans doute bénéficié d’un crash test par des gens encore plus exigeants que des gendarmes.

Considères-tu Les Encagés comme ton magnum opus ?

Ce n’est pas à moi d’en décider, mais c’est certainement le projet sur lequel j’ai passé le plus de temps, et où j’ai déployé le plus de stratégies d’écriture différentes – du premier jet écrit d’un trait aux longues sessions d’écriture itérative où je reprenais tout depuis le début pour traquer les développements possibles, puis les développements de ces développements.

Sept ans de boulot, quand même. Pas en continu, mais une ou deux fois par an, je le reprenais, je le relisais et je rajoutais ce qui me semblait manquer avant de le rentrer dans sa boîte…

Après, je ne compare pas, mais Selenim et les trois gros projets cthulhiens que j’ai commis pour L’Appel de Cthulhu période Sans Détour – Sous un ciel de sang, Le Musée de Lhomme et un gros morceau d’Aventures effroyables sont aussi de chouettes bébés.

Sur YouTube, on peut retrouver l’actual play de l’équipe Time to Roll. As-tu écouté leur version des Encagés ?

Les dix premières minutes, et c’est une frustration. Je suis incapable de rester immobile à écouter une partie enregistrée ou un podcast. Et si je me lance dans un truc en me disant que je vais l’écouter en tâche de fond, je perds le fil et tiens, zut, j’ai perdu un quart d’heure, faut que je revienne en arrière (ce que je ne fais pas, bien sûr).

Finalement, pour une histoire avec des militaires, leur hiérarchie n’est pas très pesante dans leur enquête. Avais-tu peur de trop encadrer les PJ et de leur faire perdre de leur agentivité ?

Il y a de ça, mais c’est aussi une histoire de « réalisme » ou plutôt de simili-réalisme. Une fois de plus, je parle du « réalisme » des polars, romans ou films. La gendarmerie est une grosse bête où il y a de tout. Les membres des Sections de Recherche sont des enquêteurs qui peuvent opérer en civil – même si on a pris grand soin, dans les illustrations, de tous les représenter en uniforme – et ils jouissent d’une autonomie relative. Elle est sans doute moindre dans la réalité que la campagne, mais j’ai toujours trouvé que le « Vous êtes là, et les PNJ vous disent de faire ça » n’avait pas beaucoup d’intérêt. À ce tarif, autant laisser le meneur de jeu s’amuser tout seul…

Fort du succès de la campagne dans la francophonie, une traduction en anglais serait-elle envisageable ?

J’aimerais bien, mais c’est un autre univers, et le contexte bordelais et gendarmesque exigerait sans doute d’être explicité pour les joueurs d’outre-Atlantique – et même d’outre-Manche. D’un autre côté, avec son « Jeu de l’année » et une campagne de réédition qui s’annonce bonne, elle a une certaine légitimité…

Le livre de base se lit vraiment comme un polar. Serais-tu tenté d’adapter toi-même ou bien de déléguer une adaptation en roman de cette histoire ?

Pas forcément, mais cette expérience a bel et bien changé quelque chose dans ma façon d’écrire. À un certain niveau, ça a rendu l’écriture plus difficile, parce que ça a placé la barre beaucoup, beaucoup plus haut qu’avant.

Jérôme Barthas est intervenu comme directeur éditorial sur la campagne. Qu’a-t-il apporté au projet ?

Une énorme plus-value à une multitude de niveaux, allant de la cohérence globale aux rapports de tests en passant par la création des aides de jeu et la structure finale de la campagne, sur laquelle on a eu de longues discussions. Je crois qu’il a évoqué quelque chose comme 400 mails échangés pendant la dernière année et demie de développement… pas tout à fait un par jour, donc, mais pas loin.

Franchement, j’ai rarement aussi bien travaillé avec un éditeur ! Merci Jérôme, du fond du cœur.

Tu proposes des scénarios hors procédure qui permettent de jouer des scénarios one-shot dans le passé qui éclairent certains événements de la campagne. Sais-tu si ces scénarios optionnels sont tous joués et lesquels sont les plus plébiscités ?

J’ai des retours là-dessus, et cela varie selon les groupes.

Le plus joué semble être L’Affaire Lombardi, ce qui est logique, car il est à la fois court et proche de l’enquête principale. Le Labyrinthe a reçu des critiques contrastées. Il est difficile à mettre en scène, peut foirer si les joueurs n’adhèrent pas, mais s’avère très sympa quand il tourne bien. La Bête d’Aubeterre n’est pas joué par beaucoup de groupes, sans doute en raison de sa longueur, mais ceux qui s’y sont risqués apprécient l’expérience. Enfin, depuis les tests, plus personne n’est venu me dire qu’il avait joué L’Abbaye de Monte-à-regret. Ça m’apprendra à écrire des trucs avec pour cahier des charges « complètement barré, non, encore plus barré que ça » !

Les scénarios hors procédure sont une idée géniale pour apporter un éclairage différent à l'histoire. Comment est venue cette idée, et celle de faire autant varier le gameplay de l'un à l'autre ?

L’idée elle-même m’est venue en lisant la nouvelle mouture de Terreur sur l’Orient express, qui propose exactement la même chose : des scénarios situés dans le passé éclairant le présent des investigateurs.

Mon apport a été de définir ces excursions comme « hors procédure ». Je ne sais toujours pas d’où m’est venu ce terme, mais il a dicté le contenu : des éléments pour aider les gendarmes à se forger une intime conviction, mais impossibles à faire rentrer dans les cases exigées par la loi – autrement dit, une source de dilemmes potentiels pour des enquêteurs qui doivent être beaucoup plus carrés que des investigateurs.

Quant aux changements d’ambiance… je me suis vite rendu compte que c’était juste plus intéressant si on bougeait la focale, et que ça permettait en plus d’écrire des histoires typées. L’Affaire Lombardi est le scénario archétypal de chasse au culte qui est le fond de sauce de tous les jeux cthulhiens depuis quarante ans, monté de manière un peu plus nerveuse que la moyenne. Le Labyrinthe a été pensé comme un exercice de destruction du groupe à la Johan Scipion. La Bête d’Aubeterre est son exact contrepied, un scénario où les joueurs peuvent être héroïques – pas sans risques ni conséquences, mais quand même. Enfin, L’Abbaye de Monte-à-regret est un OLNI, un Objet Ludique Non Identifié qui a… disons dérapé en cours d’écriture, et c’est très bien comme ça.

Arrives-tu vraiment à faire la différence entre le travail du procureur et celui du juge d’instruction, toi ?

Il y a de cela très longtemps, je me suis inscrit en fac de droit, avec comme horizon l’École Nationale de la Magistrature. Bon, on va dire que j’ai bifurqué : au lieu de bosser, j’ai fait jeu de rôle option Appel de Cthulhu, puis je me suis retrouvé à Casus Belli. Il ne me reste pas grand-chose de ces années, hormis un certain intérêt pour tout ça, qui a fait de moi un consommateur de polars.

Mais bon, là encore, il est question de mettre en place « un » réel. Procureur et juge d’instruction interviennent pour faire grosso modo la même chose, diriger le travail des enquêteurs, mais dans des phases différentes de l’enquête. Rentrer dans le détail aurait été casse-pied pour les non spécialistes. Cependant, la présence de l’un, puis de l’autre, m’a donné une occasion de développer des événements autour du palais de justice…

Si Netflix ou France 2 achetaient ton histoire, quels acteurs rêverais-tu de voir incarner tes gendarmes et tes encagés ?

À part deux personnages pour lesquels j’ai donné des consignes à l’illustrateur, je n’ai pas du tout creusé la question. Si un producteur veut acheter les droits – ohé, si vous me lisez, je suis joignable par mon éditeur ! – je verrai bien de qui j’hérite.

Le surnaturel est à la marge de cette campagne. Même si on peut difficilement t’accuser d’opportunisme, ne trouves-tu pas déplaisant qu’une telle campagne doive être estampillée « à la Lovecraft » pour se vendre ?

En fait, c’est à la fois une conséquence de cette fameuse écriture itérative, et un effet de bord du passage à Cthulhu Hack.

La version 1 était un incontestable scénario pour L’Appel de Cthulhu, avec un culte d’un Grand Ancien pas très connu, mais présent dans le livre des monstres depuis des décennies. Je m’éloignais d’un déroulé classique en rejetant l’intervention du culte dans le passé, j’optais pour des enquêteurs plutôt que pour des investigateurs, bref, tous les éléments qu’on retrouve dans la mouture finale étaient déjà là, mais il était sans doute plus reconnaissable comme un bon vieil Ahdécé.

Et puis, je suis repassé dessus. Encore. Et encore. Et à chaque fois, je me posais des questions qui m’éloignaient un peu plus du surnaturel. Et si ce couple de PNJ avait un enfant ? Comment est-ce que ça affecterait leur position dans la campagne ? Comment donner un alibi incontestable à ce suspect un peu trop évident ? Comment justifier qu’Untel en sache un peu trop long sur l’enquête ? Que se passera-t-il si les gendarmes mettent Truc ou Machin en garde à vue ? Et comment la presse va-t-elle réagir à une affaire aussi sensible et complexe ?

Petit à petit, au fil des réponses à toutes ces questions, je me suis retrouvé à tisser une intrigue policière parce que… eh bien, parce qu’il le fallait, vu qu’elle allait être vécue du point de vue de gendarmes. Et au passage, j’ai considérablement dilué les cthulheries. Pour moi, ça reste la même campagne, mais quand je rouvre la version 1, je vois flou…

Ensuite, il y a eu le passage à Cthulhu Hack, qui s’est avéré extraordinairement libérateur.

Le Grand Ancien auquel j’avais eu recours dans la première mouture était Y’Golonac, l’un des bébés de Ramsey Campbell. Campbell est un grand monsieur, qui n’a qu’un seul défaut : il est encore en vie. Et si Chaosium a le droit d’utiliser ses créations, pour Cthulhu Hack, il aurait fallu que j’attende soixante-quinze ans après sa mort.

Donc, exit Y’Golonac et Les Révélations de Glaaki, autour desquels tournait l’intrigue initiale. Il fallait que je fasse autre chose… et c’est là que je me suis rendu compte que, si j’avais un culte, je n’avais pas besoin qu’il adore un Grand Ancien en particulier, bien au contraire. J’ai donc décidé de reculer mon Grand Ancien à l’arrière-plan, puis de le rendre modulable, et j’ai rempli le vide avec mes propres élucubrations… ce qui a complètement bouleversé mes plans pour certains hors procédure, et pour le mieux.

Oh, et pour revenir à la racine de ta question : j’ai toujours été surpris que le polar soit à ce point marginal en jeu de rôle – sauf si les détectives sont des samouraïs dans une station spatiale ou des hobbits dans une cité naine, parce que là, ça passe. Mais bon, c’est comme ça, il faut faire avec.

Il y a de nombreuses raisons pour ne pas utiliser les violences sexuelles dans un scénario, du coup, quelles sont celles qui t’ont décidé à le faire quand même ?

Il faut arrêter de se voiler la face : ça fait quarante ans que les investigateurs démolissent des sectes qui kidnappent des gens, et pas pour leur offrir un café. Le chapitre londonien des Masques de Nyarlathotep, pour ne citer que cette campagne, propose un calendrier des rituels sexuels qui n’a jamais suscité d’indignation, sans doute parce qu’il garde un certain flou artistique sur ce qui s’y passe effectivement. Et sous les descriptions allusives de Lovecraft, j’ai toujours eu l’impression que le culte originel de Cthulhu, celui des bayous de Louisiane… comment dire ? Enfin bon, voilà, quoi.

Ensuite, il y a l’autre matériau source de la campagne, le polar. Là, personne ne prend de gants, au contraire, plus c’est noir, mieux c’est. Dans l’absolu, pour communiquer avec mon lecteur, le MJ, je n’avais pas besoin de trop m’étendre… mais je me suis retrouvé coincé par mes propres aides de jeu. Il me fallait des rapports d’autopsie, et donc des descriptions. On s’en est sorti en se contentant de résumés relativement abstraits, supposés rester tolérables à la lecture.

Enfin, brochant sur tout ça, il y a l’évolution des outils et du public. C’est venu assez tard dans le processus, mais à un moment donné, j’ai tout relu en essayant de voir le texte du point de vue d’une victime. J’ai transformé de fond en comble une scène qui était là depuis le début et à laquelle je tenais, j’ai coupé quelques détails gratuits, et j’ai introduit le long passage sur la X-card et le consentement qui se trouve en début de campagne.

Est-ce que l'utilisation de la technologie dans une campagne complique ton écriture (par exemple années 1920 vs maintenant) ?

Oui et non. Le vrai changement, c’est le passage des « investigateurs », qui sont là avec leur bonne volonté, un acharnement parfois suicidaire et des motivations plus ou moins foireuses, aux « enquêteurs » payés pour comprendre ce qui s’est passé, à qui la République donne les ressources pour le faire.

Du coup, j’avais la possibilité d’utiliser toute la panoplie, téléphonie, balistique, ADN, empreintes digitales et autres traces, analyse de fibres, informatique, et je me suis bien amusé avec. Mais un scénario années 1920 placé dans la même optique que Les Encagés aurait aussi son déploiement de technologie. Dans toute la liste que je viens de dresser, il n’y a guère que l’ADN et l’informatique qui ne soient pas connus des contemporains d’Hercule Poirot. Tout le reste est en place, sous des formes plus primitives, moins codifiées et plus compliquées à utiliser.

Est-il vrai que dans Les Encagés 2, l’enquête tournera autour de Didier Lallement, le Profond le moins discret de France ?

Si je devais réécrire un polar, mâtiné ou non de fantastique, je m’intéressais plutôt à Xavier Dupont de Ligonnès. Cela dit, pour l’instant, il n’y a pas d’Encagés 2 dans les tuyaux.

Alors que la Pléiade annonce que Lovecraft sera édité dans sa prestigieuse collection, fais-tu partie des gens qui trouvent que c’est une consécration ou bien ceux qui pensent qu’on peut adorer le Maître de Providence sans nécessairement institutionnaliser ses textes ?

Cela mérite une réponse en deux volets. Lovecraft a passé sa vie à laisser des collègues lui emprunter ses Grands Anciens, quand il ne piquait pas ceux de Clark Ashton Smith ou qu’il n’assassinait pas un double fictif de Robert Bloch… Ce qu’on appelle « mythe de Cthulhu » est un grand jeu intertextuel qui mobilise une foule d’écrivains depuis bientôt un siècle. Au point où nous en sommes rendus, j’éprouve une grande admiration pour les auteurs capables de renouveler cette matière, et ce quel que soit leur média de prédilection, romans, nouvelles, jeu de rôle, whatever.

Second versant, l’histoire éditoriale de Lovecraft, un auteur obscur qui est parti du fanzinat – pardon, du « journalisme amateur » – pour végéter dans les pulps, qui n’a connu les honneurs de la publication en volume qu’après sa mort… alors qu’aujourd’hui, il est tout ce qu’il y a de plus institutionnalisé dans son propre pays.

Ici en France, je me souviens de l’époque où la sortie chez Bouquins était vue comme une consécration. Alors La Pléiade, oui, pour un auteur publié en France, c’est le sommet, bien sûr, mais c’est dans la logique de sa trajectoire. Et à titre personnel… j’en achète de temps en temps, alors je ne priverai pas d’un coffret Lovecraft, mais ça sera un plaisir de collectionneur, pas forcément de lecteur. Pour lire, j’ai déjà tout ce qu’il me faut, de J’Ai Lu en lambeaux de ma lointaine jeunesse à l’édition Mnémos superbement retraduite par David Camus de l’an dernier.

Et pour finir, une paire de questions sans rapport avec Les Encagés.


Allons-y !

Tu avais émis l'idée d'un contexte de jeu situé en France au XVIIIe siècle. Est-ce que c'est abandonné, ou en cours de développement ?


J’ai un peu plus qu’émis l’idée : j’ai dans les 500 000 signes de Cthulhu Louis XVI sur mon disque dur. (Chiffre non contractuel, ça fait longtemps que je n’ai pas repris tout ça, mais en gros, ça fait un bouquin de 200 pages.) Il couvre la période allant de 1774 à 1789, et a représenté un boulot gigantesque…

L’ennui est que ce n’est pas un bouquin tout prêt, c’est un patchwork de notes et de chapitres rédigés pour un ouvrage qui, finalisé, serait deux ou trois fois plus gros, donc impubliable. Certains morceaux, comme la création de personnage, ont été prêts… mais ils ont été rédigés pour la 6e édition et nécessiteraient un dépoussiérage. D’autres sont plus ou moins présentables, certains sont énormes et sans doute superflus, alors que des éléments vitaux existent à l’état d’une demi-page de notes.

Tout cela aurait besoin que je prenne une machette et que je redescende dedans… et pour l’instant, ça ne m’amuse plus. Ça me reprendra peut-être, un jour, qui sait ?

Est-ce que tout l'arc narratif de la Terre du Futur commencé dans Casus V4 s'est terminé avec (Ab)négation ?

Qu’est-ce que j’en sais ? Il était terminé en 2012 lorsque j’ai bouclé la trilogie initiale, Étoiles propices Je n’avais pas prévu de rouvrir le dossier cinq ans après. Je ne savais pas du tout à quoi ressemblerait (Ab)négation avant… eh bien, que je ne me mette la pression pour écrire un quatrième scénario urgent pour Aventures effroyables.

J’ai des notes sur d’autres itérations locales, du type Genius Loci, qui pourraient potentiellement me ramener dans le futur, et un squelette d’un truc situé après une victoire locale des Grands Anciens qui pourrait (ou pas) se dérouler quelques années après Étoiles propices. Est-ce qu’elles deviendront autre chose un jour ? Nyarlathotep seul le sait.

Merci Tristan !

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