Acacia - David Anthony Durham

Vendredi soir. Mon train part dans 10 mn. J'en ai pour plus de 4h de trajet, et j'ai oublié de prendre de la lecture. Vite, je me précipite dans un kiosque en face du quai. Coup d'oeil rapide au rayon polar : des épisodes 46 de séries commencées avant que j'apprenne à lire et tous les clones de SAS possibles et imaginables. Rayon littérature : des livres de régime, le dernier Marc Lévy (ou son avant-dernier ? Ou le prochain ? Comment savoir ?) ou les bouquins du programme du bac français. J'arrive devant le rayon fantasy / SF : King, Laurell K. Hamilton ou des tomes 5 de séries dont le tome 1 est chez moi en train de caler des armoires. Là, dans un coin, un début de série ! Acacia. Hum. De la fantasy épique. Un 4e de couverture qui fait référence à Robin Hobb. Je me souviens avoir lu une bonne critique sur Le Journal de bord d'un (ex-)libraire. Je ne suis pas convaincu mais mon train part dans 3mn et au pire, ça permettra à Bob de faire son come-back. Hop, j'achète et je le commence sitôt assis à ma place. 


L'histoire : il était une fois le roi gentil d'un royaume corrompu. Il sait bien que son pouvoir repose sur l'asservissement des masses, mais il a renoncé depuis longtemps à vouloir rénover un système qui de toutes façons le cantonne à un rôle symbolique. Tant pis, ce roi trouve le réconfort dans ses quatre beaux enfants, qu'il élève seul depuis la mort de sa femme. Mais le changement est en marche, sous la forme d'un peuple guerrier, exilé dans le grand nord, qui décide de se rebeller, et, contre toutes attentes, réussit. Face à la défaite inéluctable, le vieux roi envoie ses enfants se cacher aux 4 coins du monde.

Ce livre nous arrivé auréolé d'une réputation prestigieuse et appuyé par un site de l'éditeur entièrement dédié à la série, illustré par Didier Graffet. Prix (JW Campbell Award), commentaires dithyrambiques ("C'est un roman que Shakespeare lui-même aurait aimé avoir écrit" - J.E. Kelly, lauréat du prix Hugo), ...



Pendant les 150 premières pages, j'ai bien cru que le concert de louanges était mérité. L'exposition, très réussie, met en opposition un empire suintant la corruption et les privilèges dont la famille royale est humaine, généreuse et sympathique, à une culture intéressante, ressemblant pour partie à la Sparte antique, mais dont les dirigeants sont clairement antipathiques. Au lieu de s'attacher à l'action, l'auteur dépeint avec beaucoup de minutie ses personnages et adopte une forme introspective pour présenter les quatre enfants du roi, auxquels on s'attache très vite. Les thèmes abordés le sont élégamment (la responsabilité politique, la mixité culturelle), et l'univers de l'auteur réussit le juste dosage entre la familiarité des éléments attendus du genre et l'originalité des cultures et des peuples.

Puis l'on arrive à la crise, et l'exil des enfants. Et, après cela, le récit adopte un rythme radicalement différent, tellement elliptique que les raccourcis en paraissent abrupts. Au milieu du livre, j'ai même cru qu'il manquait des chapitres à mon exemplaire. Certains événements dramatiques sont contournés, d'autres à peine évoqués, le récit fait des bonds de plusieurs mois puis ralentit de nouveau l'espace de 2 ou 3 chapitres, avant que l'auteur appuie de nouveau sur le champignon pour passer rapidement à ce qui l'intéresse. Mais surtout, Durham méprise complètement l'adage classique de l'écrivain "Show, don't tell", et, au lieu de décrire actes, dialogues, événements ou discours, raconte simplement qu'ils ont eu lieu. Un peu comme si, au lieu de lire ce billet, vous n'aviez droit qu'à un "Munin a écrit une critique mitigée, qui ne vous incite pas à vous procurer le livre." Non seulement cela appauvrit des scènes qui, sans cela, aurait pu être chargées d'émotions, mais en plus cela produit une distanciation entre le lecteur et l'oeuvre que va croissante au fur et à mesure que l'action s'emballe et que les personnages tombent comme des mouches. Résultat, on a l'impression de lire un résumé du livre plutôt que le livre lui-même (un résumé de 900 pages, quand même...). Enfin, les héros, qui étaient profonds et attachants dans leur jeunesse, deviennent, adultes, des icones stéréotypées plates et inintéressantes.

Dommage. Le livre avait vraiment du potentiel, et l'auteur, s'il avait poursuivi son effort initial, aurait pu réussir un vrai bon roman de Fantasy épique. Sauf à oublier à nouveau de prendre un livre pour un trajet en train, je ne me vois pas poursuivre avec le tome 2.

On en parle ailleurs :

Commentaires

  1. Rares sont les critiques si objectives pour ce livre (à part chez Salvek bien sur). Merci.

    Par contre, j'ai tout de même encore envie de le lire

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  2. Merci de me rappeler la critique de Salvek. Je la rajoute ici :
    Acacia sur Fantasy au Petit-Déjeuner

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  3. J'avais hésité devant la jolie couverture de la VO, mais après ce billet, je vais passer mon tour.

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  4. Ohhhhh, c'est dommage. Tu me donnais très envie de le lire, je m'attendais à un coup de coeur, et puis ... bah non.
    Comme quoi, c'est pas si facile d'écrire de la fantasy !

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  5. Je me suis laissée tentée par les très bonnes critiques en m'attendant à un bon vieux bouquin classique de fantasy, et pareil, j'en suis sortie avec un avis plus que mitigé.
    Je ne sais pas ce qui m'a le plus lassé, entre le début qui n'en finissait pas et la monstrueuse ellipse qui suit qui aurait été bien plus intéressante à détailler...

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  6. Je partage l'avis !
    Je trouve les critiques très élogieuses au sujet de ce livre et j'ai été moi aussi, très moyennement emballée. Tout comme Calenwen l'évoque, on s'ennuie quelques fois...

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  7. "C'est un roman que Shakespeare lui-même aurait aimé avoir écrit" - J.E. Kelly, lauréat du prix Hugo

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  8. Heureusement, en France, nous ne copinons pas dans les appraisals. Nous, on dit "C'est un roman que Balzac lui-même aurait aimé avoir écrit", c'est quand même d'un autre niveau.

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