Batman City Chronicles, le jeu de rôle : Livre de base

Tout Gotham City Chronicles: 

Si Monolith est avant tout un éditeur de jeux de figurine, il n'a jamais été loin du jdr, avec des jeux à plus ou moins haute teneur narrative. C'est donc en toute cohérence que Batman City Chronicles, le jeu de plateau, se voit décliné en jeu de rôle. Celui-ci s'inscrit bien dans cette gamme, puisqu'il n'est pas question de sortir du périmètre du Caped Crusader pour explorer le reste de l'univers D.C. (vous savez, Superman, Wonder Woman, Flash, Green Lantern etc.). Le jdp est par ailleurs très accès sur les aspects les plus sombres et torturés de Gotham City, tout en mettant en scène un panel de personnages allant des femmes et hommes à super-pouvoirs aux simples policiers et hommes de main, en passant par les surentrainés et suréquipés à l'image de Batman lui-même. Le jdr suit donc aussi ce chemin, pour construire une sorte de micro-univers cohérent entre les deux médias.

Bien aidé par une licence porteuse, un financement à la fois en anglais et en français et un jdp qui cartonne, Monolith a pu mettre les petits plats dans les grands avec pas moins de trois gros ouvrages (règles, univers et scénarios), des aides de jeux, deux écrans différents et des sets de dés. Le manoir Wayne est très grand, on va tenter un petit tour du propriétaire. C'est parti, en commençant par le commencement, c'est à dire... 

Le livre de base


Batman est motorisé par Chroniques Oubliées, le système maison de BBE, un curieux choix en apparence tant ce dérivé du d20 de D&D3 (25 ans d'âge déjà !) ne semble pas adapté à l'échelle super-héroïque (1). Mais après-tout, la famille Batman n'est-elle pas, au sein de l'univers D.C., celle qui joue le moins sur cette échelle ? Les auteurs viennent de fait avec un principe fondateur du game design du jeu, et qui fait aussi écho au jdp, à savoir des personnages répartis sur trois niveaux de jeu dont le choix est le premier et le plus important à faire pour votre campagne.

(1) 1d20 + modificateur (de -1 à +5 en gros) de l’une des six caractéristiques, qui doit dépasser la difficulté pour réussir son action. Un système de progression par points d'expérience et niveaux qui permet de gagner des capacités, et surtout d'augmenter de manière quasiment linéaire ses valeurs d'attaque et ses points de vie. Voilà, vous l'avez ?

Le mode "Rues de Gotham City" met en scène des personnages ordinaires, comme des agents des forces de l'ordre. Il permet de simuler de nombreuses histoires batmaniennes placées du point de vue du quidam, à l’image du formidable Gotham Central. Avec les "Ombres de Gotham City", on s'intéresse aux super-héros sans super-pouvoir mais qui s'appuient sur un entrainement infaillible et un équipement de pointe. Batman lui-même rentre dans cette catégorie. Enfin, "Prodiges de Gotham City" regroupe les personnages à super-pouvoirs - oui, il y en a dans la famille Batman, comme Black Canary, ou chez les super-vilains, comme Poison Ivy. Bien que l'option soit évoquée, mélanger différents niveaux fonctionnent relativement mal à moins de caler vos scénarios spécifiquement sur ce mélange pour que chacun personnage puisse avoir une occasion de briller. Le livret de découverte, par ailleurs assez complet et plutôt bien fait, l'illustre assez bien, avec des prétirés dont l'écart de puissance ne marche pas très bien en partie.

Les auteurs sont sinon restés fidèles à l'esprit Chroniques Oubliées en s'appuyant lourdement sur le principe des voies, un ensemble de cinq capacités qui s'acquiert progressivement avec l'expérience. Les personnages disposent de plusieurs voies choisies à la création. Par rapport aux autres itérations du système, ils en ont même beaucoup, car elles couvrent tout à la fois les compétences, les gadgets et les super-pouvoirs. Un médecin aura par exemple la voie de la médecine, un inventeur la voie de l'invention dont le niveau 1 lui octroie un gadget, le pouvoir de vol est couvert par la voie des airs etc.

À noter les voies liées à des super-pouvoirs progressent de manière particulière. Il est possible d’acquérir des capacités dans n’importe quel ordre et celles-ci gagnent en puissance avec le rang dans la voie. Cela garanti une certaine cohérence dans la progression des personnages, avec un esprit proche de celui du récent Marvel Multiverse RPG et ses familles de pouvoirs : acquérir une nouvelle capacité dans une voie donnée, ce n'est pas tant acquérir un nouveau super-pouvoir qu'apprendre une nouvelle manière d'en utiliser un déjà acquis. Le résultat est certes moins flexible qu'un Mutants & Masterminds, mais tout à fait fonctionnel et, surtout, bien plus compact. L'ensemble des voies couvre ainsi l'essentiel de ce que l'on peut attendre d'une adaptation de Batman en moins de 40 pages.

Autre point notable et spécifique à ce Batman, l'éthique. Il s'agit de quatre valeurs opposées deux à deux, ordre, anarchie, justice et crime. Ces valeurs évoluent en fonction des actions des personnages et peuvent agir comme bonus ou malus selon les circonstances. Bien que très intéressantes sur le papier, leur fonctionnement manque cruellement de consistance. Il est par exemple possible d'avoir en même temps des valeurs basses ou hautes dans deux éthiques opposées, et savoir s'il faut utiliser l'une en bonus ou l'autre en malus n'est pas très clair. Leur usage est d'ailleurs assez libre, et aurait mérité d'être un peu plus cadrée, ne serait-ce que par des exemples pour chacune.

Cette bonne idée pas complètement mise en forme est assez représentative des règles en général, avec de nombreux points qui auraient mérités d'être consolidés. Citons à titre d’exemple le nombre de points à répartir dans les caractéristiques à la création de personnage, donné sous la forme d’une fourchette « à adapter en fonction de l’intensité des périls » sans autre indication, et alors que cet équilibre est normalement assuré par le niveau de puissance des PNJ.
 

Ou encore, la possibilité de « créer un obstacle » lors d’une course poursuite, qui fait perdre un cran de distance, alors que d’un point de vue mécanique, les obstacles ne permettent que de gagner… un cran de distance, et encore, si le poursuivant échoue à son test pour le passer.
La plupart des ces points sont des détails qu’il est possible de lisser à la volée en raison de la simplicité et de la limpidité des principes de résolution sur lequel repose le jeu. N’empêche, c’est assez dommage pour qui aime les mécaniques de précision, ce qu’est habituellement par essence Chroniques Oubliées.

Un point spécifique me semble toutefois plus gênant, les points de vie. Même si Batman opte pour la version Chroniques Oubliées Contemporain (2), qui mitige leur augmentation avec le niveau des personnages, ces derniers deviennent tout de même vite des outres à PV. À mettre en regard des combats qui procèdent par attrition des PV, sans option pour être accélérés. Un batarang aurait par exemple plus mettre KO automatiquement un simple sbire sous certaines condition, mais non, techniquement, c’est une arme comme une autre avec uniquement ses dégâts, assez faibles de surcroit.

(2) un niveau sur deux, le personnage ne gagne que son modificateur de constitution, et ne gagne plus que 1 ou 2 PV à partir du niveau 10

L’ouvrage force sinon le respect par sa complétude et un contenu qui ne perd jamais son sujet de vu.
Les règles optionnelles couvrent parfaitement la thématique tout en reposant sur les principes existants (tests, voies), ce qui rend leur prise en main très simple. Au programme, dangers, interrogatoires, courses poursuites, infiltration, folie, voies d'équipe, QG... Même si c’est parfois un peu léger (les capacités des « voies » proposées pour gérer les QG, par exemple, donnent une indication de niveau plus qu’une vraie capacité), l’essentiel est là.

Mention spéciale à l’imposante (plus de 50 pages) section de conseils. Logique générale des comics Batman, construire un scénario, mener une partie, incarner un héros : j’ai rarement vu des conseils aussi intéressants ! Ils sont très bien structurés et détaillés (assez logiquement, étant donné la cible du jeu, plus large que les rôlistes chevronnés), accompagnés d’exemples concrets et toujours centrés sur Gotham City. Même les questions les plus épineuses propre à cet univers sont abordées : la suspension d’incrédulité dans un monde où un masque suffit à cacher son identité, la gestion de PNJ aussi encombrant que Batman lui-même, la différence entre ce que savent les joueurs et les PJ qu’ils incarnent… Bref, je suis enthousiaste !

L’ouvrage se termine par une section consacrée au PNJ, avec les règles d’équilibrage des rencontres et des profils de PNJ type. Les caractéristiques de quelques personnages de l’univers (Batman, le Joker…) sont aussi proposées. Une section peu utile, surtout que les personnages proposés sont peu nombreux et haut niveau, mais probablement inévitable quand on parle d’un jdr de super-héros.

Que penser donc de ce bouquin de base ? Son contenu est très intelligemment construit autour de l’univers de Gotham City, l’utilisation des règles de Chroniques Oubliées pas si idiote que ça. Ce qui fait regretter d’une part, que l’adaptation des règles de CO n’ait pas été un cran plus loin, et d’autre part que l’équilibrage fin soit perfectible. Tout dépendra donc de ce que vous attendez du jeu, ou de votre envie de mettre un poil les mains dans le cambouis.


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