Quoi ? Une critique de Wastburg sur ce blog ? Eh oui. Je ne vais pas me gêner, je suis (aussi) ici chez moi ! Et, malgré l'ancienneté de notre binôme, je n'ai rien à voir avec Wastburg. Je n'ai participé, à quelque niveau que ce soit, à aucune étape de sa conception, et je ne l'ai lu qu'une fois imprimé, dans sa version définitive en livre. On pourrait à la limite me reprocher un léger a priori positif pour l'auteur, mais il suffit d'avoir ce biais présent à l'esprit quand vous lirez mon billet. De toutes façons, dites-vous bien que si je collabore avec Cédric depuis toutes ces années, c'est que j'apprécie ce qu'il fait. Ayant été le chercher pour écrire ce tout premier scénario pour Casus Belli, je pourrais même prétendre au titre de découvreur de cette étoile montante de la Fantasy française !
Toutefois, afin de présenter une plus grande diversité de points de vue sur le livre, Hugin & Munin ont également demandé à Bob de chroniquer Wastburg. Les deux avis sont à lire pour se forger sa propre opinion.
La Fantasy - ou du moins le médiéval-fantastique épique - a connu son âge d'or. Même si des cycles continuent d'être publiés, le bouseux-qui-part-en-quête-d'un-objet-pour-protéger-le-monde-du-retour-du-Mal a finalement trébuché sur son épée, et personne ne le pleurera. Dans son sillage, on a vu naître entre autres la dark ou grim fantasy, dans laquelle le bouseux et sa famille étaient brûlés vifs par des soudards ivres avant d'avoir pu mettre un pied hors de leur cahute, et d'autres sous-genres. Mais, pastiches, caricatures ou hommages, ces livres ne sont jamais très loin du Héros, qu'ils le prennent comme modèle ou anti-modèle. La Première Loi de Joe Abercrombie, par exemple, ou Les Magiciens de Lev Grossman, ne peuvent s'apprécier si l'on a déjà lu leurs prédécesseurs. (On me susurre dans l'oreillette que le mot savant pour désigner tout ceci est l'intertextualité.)
En choisissant plus simplement d'ignorer ces envahissants archétypes, sans les embrasser ou tenter de leur faire un croche-patte, Cédric a fait de Wastburg un des rares romans de la Fantasy contemporaine qui ne nécessite ni plusieurs tomes d'exposition ou de développement, ni connaissance préalable du genre, pour être apprécié à sa juste valeur. Wastburg, c'est une cité-état corrompue et décadente, dans une ambiance qu'on pourrait appeler Renaissance si celle-ci avait consisté à dézinguer les vieux barons féodaux à coups de canon pour les remplacer directement par des politicards de la IIIe République. Dans cette ville, en proie au communautarisme et aux revendications minoritaires, on suit les tribulations de miliciens locaux, guidé par un fil rouge narratif qui serpente entre les chapitres à la manière d'un boa repu : s'attardant ici, accélérant là, développant sur le riche folklore local dès que l'occasion se présente (souvent).
Récit choral, donc, mais pas façon "choral-fantasy" avec un groupe de personnages entre lesquels on saute de chapitre en chapitre ("ah zut ! encore un chapitre sur Sansa !..."); mais plutôt à la façon de saynètes indépendantes, composant en kaléïdoscope l'image de la ville. C'est autant dans les portraits des gardes que dans les us et coutumes locaux que se déploie l'inventivité de Cédric, qui communique au lecteur une affection pour les couches populaires de sa ville totalement dépourvue de condescendance. On suit sans mépris, et avec une certaine tendresse, les trajectoires, ou plutôt les chutes, des personnages. Difficile, pour les habitués de ce blog, de ne pas penser aux critiques de Cédric des frères Coen quand on lit Wastburg : dans son billet sur Burn After Reading, Cédric écrit :
"C'est un véritable complot des imbéciles. La même imbécilité qui était mise en avant Fargo ou dans The Big Lebowski. Celle des plans foireux, des hasards malheureux et des petites bassesses humaines."
Ce complot des imbéciles, la succession de malchances, on les retrouve avec délectation dans Wastburg, jusqu'à l'inévitable conclusion en feux d'artifice.
Le lecteur est entraîné, guidé dans cet entrelacs de combines crapoteuses par l'imagination baroque et féconde de l'auteur et la langue qui la véhicule. Car il est difficile, pour Wastburg, de séparer le fond de la forme. La narration comme les personnages usent du même argot gouailleur, un parler gouleyant dont on fait rouler les mots en bouche comme un vin de terroir de caractère. Le vocabulaire fleuri, les métaphores hardies, font de chaque moment de lecture un plaisir intense et jubilatoire. Vous n'êtes pas obligés de me croire sur parole, vous pouvez lire le premier chapitre ou apprécier l'extrait suivant :
"La bouscotte était une tradition wastburgienne, une cité où rien ne se perd : tous les tenanciers de troquet avaient une bouteille à part, dans laquelle ils versaient tous les fonds de verre non bus par les clients. Une mixture dégueulasse mais qui en arrachait, et pour pas cher. Certains collaient une étiquette dessus, d’autres mettaient au défi les voyageurs d’en boire un coup : à chacun sa manière de vendre le produit. Si le patron n’était pas con, il avait plusieurs boutanches à bouscotte, une par type d’alcool, pour ne pas trop mélanger les genres. Une pour le pinard, une pour les gnôles, une pour les liqueurs, une pour les bières... Séparer les liquides ne rendait pas la bouscotte meilleure au goût, ça non, mais ça retardait le moment où le client devenait malade. Un adage local disait même « Vin sur bière, je digère. Bière sur vin, je vomis bien. » Certaines buvettes devaient leur renommée à la qualité (toute relative) de leur bouscotte. Leurs bistrotiers avaient le tour de main pour faire des mélanges honorables. Ça tenait parfois à un ingrédient secret, qui faisait qu’une bouscotte était savourée ou évitée."
Cette critique dithyrambique ne doit pas faire croire que j'ai oublié tout sens critique en lisant Wastburg. J'ai été frustré de l'absence de personnages féminins : où sont les matrones wastburgiennes, les fleurs du pavé, les mères, les femmes, les soeurs et les filles ? Les gardes en parlent beaucoup, mais on les voit peu. Dommage, je suis sûr qu'elles sont aussi intéressantes que leurs mâles. Par ailleurs, le fil narratif, peu intrusif dans les premiers chapitres, le devient trop dans les derniers : on ne lit pas Wastburg pour son intrigue, mais pour sa galerie de portraits. Le retour de l'intrigue dans les dernières pages, les raccourcis un peu trop elliptiques, et le changement de ton avec le dernier personnage présenté, surviennent trop rapidement. On aurait aimé continué sa promenade dans les bas-fonds fangeux de Wastburg, sans être importuné par l'artifice du suspense. Mais finalement, mon seul vrai reproche à ce livre est qu'il semble trop court, on en redemande.
Cette vision rafraîchissante et innovante de la Fantasy, l'éditeur l'a étiquetée avec beaucoup de flair crapule-fantasy. Wastburg donne à ce nouveau sous-genre ses lettres de noblesse. Comme livre, c'est une superbe réussite. Comme premier livre, c'est un ouvrage impressionnant d'audace, à propos duquel j'exprime ici toute mon admiration à mon co-blogueur*. Bravo, compadre.
*je vous avait dit que c'est moi qui l'avait découvert, ce petit ? Je lui ai tout appris
Forcément je l'ai acheté ! Je soutiens les jeunes écrivains...et en plus, en lisant la quatrième de couverture, je n'ai pas eu à me forcer. Bon j'ai un peu arrêter d'écrire des critiques, mais je ferai peut-être une exception...dès que je l'aurai lu.
RépondreSupprimerAcheté aujourd'hui a decitre Chambery,
RépondreSupprimerle vendeur à dit : "vivement qu'il en écrive un autre"
maintenet reste plus qu'a le lire
McLeod
NCPD Sniper - retired
Hey, merci !
RépondreSupprimerJ'ai claqué tellement de pognon dans ce Decitre que ça me fait plaisir d'entendre ça.
Ca y est j'ai fini de le lire...
RépondreSupprimerGlobalement, j'aime bien, surtout la durée de vie moyenne des protagonistes, avec le petit coté, comment il va morfler celui là ?
Sinon au début j'ai été un peu dérouté par le style (mélanges de mots nouveaux anciens et inventés)
En tout cas je ne regrette pas mon achat !
McLeod
NCPD Sniper - retired